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entendre en 1766 des paroles qui doivent singulièrement détonner dans les chambres du parlement de Grenoble ; il s’élève contre la torture employée comme moyen de preuve : « Prenez garde, s’écrie-t-il, vous ne faites pas parler un coupable, vous faites mentir un innocent »!… « Et nous reprochons aux anciens leurs cirques et leurs gladiateurs, à nos pères leurs épreuves de l’eau et du feu ! oh ! plutôt que de le livrer au bourreau, faisons combattre un accusé sur l’arène, du moins il aura la liberté de se défendre : qu’on le jette au milieu des flammes, il aura du moins l’espérance du hasard ou de la fuite[1] » ! D’autres discours de rentrée trahissent les mêmes dispositions. Les sociétés savantes et les académies, qui pullulent au XVIIIe siècle, contribuent à entretenir dans les provinces un zèle ardent pour l’étude des réformes criminelles[2].

Il est à remarquer que la plupart de ces écrivains ne vont pas jusqu’à préconiser l’abolition pure et simple de la torture. Soit qu’ils éprouvent des difficultés à secouer complètement le joug des opinions dominantes, soit qu’ils espèrent obtenir ainsi plus facilement l’adhésion des hommes timides, beaucoup font des réserves et des concessions. C’est le cas pour Risi, qui admet l’usage de la torture pour l’instruction des crimes de lèse-majesté[3] ; pour Brissot, qui trouve que l’on peut forcer un accusé à dénoncer ses complices[4] ; pour Seigneux de Correvon, qui laisserait appliquer à la question les accusés qui refusent de répondre[5] ; pour Voltaire lui-même, qui approuve la torture de Ravaillac[6]. Le Trosne considère la question comme un « moyen équitable » de départager les juges en matière de crimes capitaux[7]. Servin, avocat général au parlement de Rouen, sent

  1. Discours sur l’administration de la justice criminelle, dans Brissot, Bibl. philos., t. II, p. 173.
  2. Ces académies mettaient au concours des questions comme celle-ci : Du moyen d’adoucir la rigueur des lois pénales en France sans nuire à la sûreté publique. L’Académie de Châlons-sur-Marne, qui avait posé cette question, reçut en 1780 plus de vingt mémoires, qui tous concluaient à l’abolition de la torture.
  3. Dans Brissot, t. II, p. 132.
  4. Observations sur le Traité des délits et des peines [Bibl. philos., t. I, p. 285].
  5. Essai sur l’usage, l’abus et les inconvénients de la torture, p. 15.
  6. Le prix de la justice et de l’humanité, dans Brissot, t. V, p. 94.
  7. Traité des matières criminelles, p. 426.