Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« En France, dit-il ailleurs, il semble que les livres de la procédure aient été composés par le bourreau[1] ». Il cite aussi des exemples d’erreurs judiciaires célèbres : « Les juges en pleurèrent, mais leur repentir n’abolit point la loi[2] ».

Le Dictionnaire encyclopédique, au mot question, s’inspire des mêmes idées[3]. Risi, Seigneux de Correvon et bien d’autres, sans apporter au débat beaucoup d’arguments nouveaux, entretiennent dans les esprits une agitation féconde. On voit des juristes et même des magistrats entrer dans le mouvement. Serpillon, conseiller au Présidial d’Autun, constate que le public se plaint de l’usage de la torture, et il s’associe à ces plaintes. « Plusieurs innocents, dit-il, sont morts à la question, c’est un fait trop notoire pour avoir besoin d’être prouvé en détail[4] ». Parlant de la torture qu’on applique à Autun, sous ses yeux, il en fait une description épouvantable, et rapporte plusieurs accidents graves qui se sont produits et à la suite desquels on n’ose plus « y condamner préparatoirement ». Servan, avocat général, fait

  1. Le prix de la justice et de l’humanité, art. 24.
  2. Il s’agit des causes célèbres de Langlade et de Lebrun. À cette époque, quelques erreurs judiciaires avaient fait grand bruit. Vers 1750, Antoine Pin, accusé d’avoir tué un certain Joseph Sevas, confessa son prétendu crime dans la torture en indiquant le lieu où le cadavre avait été enseveli. Le cadavre ne fut pas trouvé au lieu désigné ; mais un jugement parfaitement en règle envoya Pin à la potence. Quelque temps après, Sevas, la prétendue victime, reparut. Plusieurs autres exemples contemporains sont cités par Cantu, Beccaria e il Diritto penale, pp. 48, 49. — Seigneux de Correvon cite une erreur éclatante reconnue par le Parlement de Paris en 1767, en cause de Yves Le Flem. — Ces lamentables erreurs n’émeuvent cependant pas toujours bien profondément les juristes. En 1750, raconte l’avocat Barbier, « on a condamné, après une longue prison, un pauvre cabaretier de Charenton à la question ordinaire et extraordinaire qu’il a soufferte pour vol sur le grand chemin, dont il était innocent, suivant la déclaration du véritable voleur qui a été pris et qui a été rompu. Ce qui fait voir la délicatesse de la fonction de juge dans les affaires criminelles » [Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, t. IV, p. 446]. Cette horreur ne lui inspire pas d’accents plus émus.
  3. « Lorsque Guillaume Laud, évêque de Londres, menaça Felton, qui avait assassiné le duc de Buckingham, de le faire appliquer à la torture, s’il ne déclarait ses complices, il lui répliqua : Mylord, je ne sais ce que les tourments de la question me feront dire, mais il se pourra que je vous nommerai comme le premier de mes complices ou quelque autre membre du cabinet du roi. Ainsi vous ferez bien de m’épargner des tourments inutiles ». L’article est de Ch. de Jaucourt.
  4. Code criminel, p. 907.