Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et les violences du juge, et il réédite pour son compte cette ineptie de quelques anciens criminalistes pour qui « la torture est une indulgence de la loi ».

Si des jurisconsultes de valeur se réfugient aussi aveuglément dans la routine, que feront les légistes médiocres ? Heureusement, comme nous le verrons plus loin, l’apologie de la question ordinaire et extraordinaire publiée par Muyart de Vouglans en 1767 ne devait pas empêcher Louis XVI de l’abolir le 24 août 1780. C’est que les disciples de Beccaria, en France, étaient devenus légion et donnaient un vigoureux assaut aux législations vieillies et affaissées sous le poids de leurs abus.

Déjà avant Beccaria, la matière avait été sommairement abordée par Bayle, dans son Dictionnaire critique[1]. Montesquieu avait déclaré que la torture ne pouvait convenir qu’aux États despotiques, où tout ce qui inspire la crainte entre dans les ressorts du gouvernement[2]. Voltaire ajoute au raisonnement de Montesquieu ses sarcasmes et son ironie sans réplique. Il soulève les consciences contre les abominations d’une procédure barbare ; tous ses coups portent, d’autant plus que chaque œuvre sortie de sa plume est lue avidement ; la clarté et la séduction de son style font passer dans les esprits une foule de vérités que toutes les discussions entre savants et juristes n’avaient pu vulgariser avant lui. Dans une page célèbre, il résume tous les arguments produits contre la torture depuis saint Augustin jusqu’à Beccaria, et il conclut : « Quand il n’y aurait qu’une nation sur la terre qui eût aboli l’usage de la torture, s’il n’y a pas plus de crimes chez cette nation que chez une autre, son exemple suffit au reste du monde entier[3] ».


    impunis, et par cette impunité auroient engendré des inconveniens beaucoup plus dangereux que ceux de la torture même, en rendant une infinité de citoyens les innocentes victimes des scélérats les plus subtils » [pp. 824-825]. — Nous avons quelque peu insisté sur cette opposition de Muyart de Vouglans parce que, comme nous le verrons plus loin, les écrits de ce magistral exercèrent une influence réelle sur l’opinion de nos cours de justice : on retrouve les arguments de Muyart et même parfois son texte dans les réponses de nos tribunaux au Mémoire de G. de Fierlant [Voir chap. III].

  1. Au mot Grævius.
  2. Esprit des lois, liv. VII, 17. Il ajoute : « Mais j’entends la voix de la nature qui crie contre moi ».
  3. Commentaire sur le Traité des délits et des peines, dans la Biblioth. philos. de Brissot, t. I, p. 234.