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dont on l’accuse, c’est lui faire cet odieux raisonnement : « Tu es coupable d’un délit, donc il est possible que tu en aies commis cent autres. Ce soupçon me pèse ; je veux m’en éclaircir ; je vais employer mon épreuve de vérité. Les lois te feront souffrir pour les crimes que tu as commis, pour ceux que tu as pu commettre et pour ceux dont je veux te trouver coupable[1] » !

L’éloquent réquisitoire du gentilhomme milanais obtint un succès immense. Traduit en français par l’abbé Morellet[2], en allemand par Butscheck[3], et bientôt dans toutes les langues, annoté par Diderot, commenté par Voltaire, multiplié par d’innombrables éditions, il provoqua une émotion générale[4]. Il venait à son heure et trouvait l’opinion merveilleusement préparée, car depuis longtemps les philosophes travaillaient à développer dans les cœurs la compassion pour les souffrances humaines. En France, Brissot de Warville, Lacretelle, Philpin de Piépape, Servan, Pastoret, Bexon et bien d’autres firent au livre de Beccaria un accueil enthousiaste, et contribuèrent à répandre ses idées et à faire triompher ses principes.

Le Traité des délits et des peines trouva cependant d’âpres contradicteurs. Sans compter des énergumènes comme Vincenzo Facchinei, qui le traitent d’ouvrage « horrible, venimeux, infâme, impie et blasphématoire[5] », il rencontra dans le monde judiciaire des résistances énergiques. Des juris-

  1. Pages 64-66.
  2. La traduction de Morellet eut sept éditions en six mois.
  3. Prague, 1765.
  4. Morellet dit dans ses Mémoires [t. I, p. 57] : « L’abolition de la question préparatoire et le projet d’adoucir les peines et les lois ont été, avant la Révolution, des effets de l’impression forte et générale qu’a faite l’ouvrage de Beccaria ».
  5. Ce moine dominicain écrivit en 1763 un libelle extraordinairement violent contre Beccaria ; il traitait celui-ci de « fanatique, imposteur, écrivain faux et dangereux, satirique effréné, séducteur du public, qui distille le fiel le plus amer, etc. ». L’irritable dominicain s’est attaché à réfuter le chapitre du Traité des délits et des peines consacré à la torture, et voici ce qu’il trouve de mieux à dire pour défendre le maintien du statu quo : « Quand un homme est sur le point d’être condamné à mort, on le met à la torture ; s’il résiste, le voilà purgé ! La torture est donc une indulgence de la loi, une voie de salut ouverte à l’accusé ». — Cantu cite aussi parmi les adversaires les plus militants de Beccaria, les juristes Roggeri, Giudici, Briganti, Renazzi. Nous ne sommes pas parvenu à nous procurer leurs ouvrages. Voir Cantu, pp. 34-51 ; 181-227.