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être puni que de la peine fixée par la loi, et la torture est inutile, puisqu’on n’a plus besoin des aveux du coupable. Si le délit est incertain, n’est-il pas affreux de tourmenter un innocent ? Car, aux yeux de la loi, celui dont le délit n’est pas prouvé, est innocent[1]. La torture, reste d’une législation barbare et impuissante, est souvent un sûr moyen de condamner l’innocent faible et d’absoudre le scélérat robuste. Le résultat de l’épreuve est donc une affaire de tempérament et de calcul, qui varie dans chaque homme en proportion de sa force et de sa sensibilité ; de sorte que, pour prévoir le résultat de la torture, il ne faudrait que résoudre le problème suivant : « La force des muscles et la sensibilité des fibres étant connues, trouver le degré de douleur qui obligera l’accusé de s’avouer coupable d’un crime donné[2] ». Beccaria fait remarquer que l’innocent se trouve dans une position pire que celle du coupable. En effet, l’innocent que l’on applique à la question a tout contre lui ; car il sera condamné s’il avoue le crime qu’il n’a pas commis, ou bien il sera absous, mais après avoir enduré des tourments qu’il n’a point mérité de souffrir. Le coupable, au contraire, a pour lui une combinaison favorable, puisqu’il est absous s’il supporte la torture avec fermeté, et qu’il évite les supplices dont il est menacé, en subissant une peine bien plus légère. Ainsi l’innocent a tout à perdre, le coupable a tout à gagner.

Ces vérités ont été confusément senties par les législateurs eux-mêmes ; mais ils n’ont pas pour cela supprimé la torture. Seulement ils conviennent que les aveux arrachés à l’accusé par les tourments sont de nulle valeur, à moins qu’il ne les confirme ensuite ; mais s’il s’y refuse, il est de nouveau livré au bourreau. On espère, en appliquant l’accusé à la question, éclaircir les contradictions relevées dans ses précédents interrogatoires. Mais la crainte du supplice, la solennité des procédures, l’ignorance même, également commune à la plupart des accusés, innocents ou coupables, sont autant de raisons pour faire tomber dans les contradictions, et l’innocence qui tremble, et le crime qui cherche à se cacher. Enfin, dit Beccaria, donner la torture à un malheureux pour découvrir s’il est coupable d’autres crimes que celui

  1. Dei Delitti e delle Pene. Milan, 1764. — Éd. Faustin-Hélie. Paris, 1870, p. 60.
  2. Pge 63.