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Notons ici un détail intéressant : bien qu’il eût dédié son ouvrage au roi, Nicolas ne put obtenir l’autorisation de l’imprimer en France ; pour le faire connaître du public, il dut recourir aux presses hollandaises.

Quelques années plus tard, un criminaliste saxon, Döpler, auteur d’un vaste répertoire où sont complaisamment énumérés les multiples modes de torture usités en Allemagne, reconnaît que souvent des bourreaux, par esprit de vengeance, ont accusé leurs ennemis personnels de sorcellerie et les ont torturés avec tant d’art qu’ils les ont forcés à avouer leur prétendu crime[1].

Le mouvement décisif de l’opinion contre la cruauté des peines partit de l’Italie, cette terre classique du droit. Parmi les ouvriers de la première heure, nous devons citer, après Muratori et Maffei, Pierre-Alexandre Verri, inspecteur des prisons de Milan[2]. Cet homme de bien avait l’habitude d’entretenir un cercle d’amis de ses visites aux captifs et des reformes qu’il jugeait nécessaires dans l’administration de la justice. À ces réunions assistait un généreux adolescent qui, profondément ému des révélations apportées par Verri, s’enflamma d’un bel enthousiasme contre la routine, et spécialement contre l’usage de la torture. Le jeune écrivain dont l’admirable pamphlet allait faire tant de bruit, s’appelait le marquis César de Beccaria Bonesana[3].

Recherchant les principes d’une législation rationnelle, il rejette le système de l’intimidation et glorifie les sentiments de justice et d’humanité ; il s’adresse au bon sens public dans un style incisif et simple, qui doit être aisément saisi et goûté par la foule.

On sait avec quelle éloquence il s’élevait contre l’application de la peine de mort. Nous n’avons à retenir ici que l’argumentation pressante et forte de Beccaria contre la torture. En quelques lignes, il en a montré le caractère inique. Un homme ne peut être regardé comme criminel avant la sentence du juge. Ce principe suffit à lui seul pour démontrer l’absurdité et l’injustice de la question, car elle est déjà une peine infligée avant la condamnation. Ou le délit, dit-il, est certain, ou il est incertain ; s’il est certain, il ne doit

  1. Theat. pæn., 597.
  2. Cantu, Beccaria e il Diritto penale. Florence, 1862.
  3. Né à Milan le 15 mars 1738, mort dans la même ville le 28 novembre 1794.