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guement peut-être au gré du lecteur, que la torture n’est prescrite ni par la législation de Moïse, ni par celle du Christ, ni par le droit canonique[1]. Il respecte, dit-il, les lois humaines autant que personne, mais il ne peut s’y soumettre « lorsque le sens commun y répugne et que la raison naturelle y contredit[2] ». Comme la plupart de ses contemporains, il admet l’existence de la sorcellerie, mais il ne croit pas sorciers ceux qui se sont dénoncés sur la sellette, et il raille en passant les inquisiteurs déclarant gravement que les sorciers ne pourraient décrire les cérémonies du sabbat, s’ils n’y avaient assisté[3]. Il est tout aussi sceptique quand on lui objecte les aveux des complices : « Pouvez-vous espérer que l’accusé ménage mieux l’honneur et la vie d’autruy dans ces tourmens, qu’il n’a sçeu ménager la sienne ?… Il chargera, si vous voulez, tous les saints du Paradis et tous les Esprits bienheureux pour se racheter de cet enfer[4] ». Il cite à ce propos un fait curieux et passablement comique : à Besançon, deux individus poursuivis du chef de sortilège ne trouvèrent rien de mieux que d’accuser l’inquisiteur de la ville d’avoir été avec eux au sabbat ; et « si le Saint Office de Rome n’eust pris soin d’arrester ces procédures, et l’inquisiteur et tout son couvent, et tous les gens de bien de la ville et de la province alloient être embarrassez dans ces procès privilégiez[5] » !

  1. Page 190.
  2. Page 15.
  3. « Je confesse ingénûment que je ne croiray légitimement convaincu un homme qui aura confessé ce que la douleur luy aura fait dire » [p. 84], — « qui est l’homme ou la femme, pour rustiques et campagnards qu’ils puissent estre, qui ne sçache désormais jusqu’aux circonstances les plus menues de ce qu’on dit estre fait en ces sabats ? Il ne faut qu’avoir été assis une demi-heure sous l’orme ou sous la tille devant l’église de son village en conversation avec ses commères, au four, au moulin, aux veillées d’hyver, pour sçavoir de ces particularitez autant à peu près que Remi, Bodin, del Rio et le Maillet des sorciers nous ont appris » [p. 105].
  4. Page 163.
  5. Page 153. Rien d’étrange à cela, du reste, « car la torture est une invention du diable, suggérée à des payens et à des tyrans pour l’oppression d’une infinité de gens de bien » [p. 34]. — Nicolas s’élève aussi contre l’inefficacité des supplices. Le scélérat se flatte toujours, dit-il, de l’espérance de l’évasion ou de l’impunité. Ce qui peut empêcher un homme de commettre un délit ou un crime, ce n’est pas la gravité du châtiment, mais la certitude de le subir. « Ce qu’il faut, ce n’est pas une législation cruelle, mais une bonne police » [p. 146].