Page:Hubert - La Torture aux Pays-Bas autrichiens pendant le XVIIIe siècle.djvu/74

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mêlé. Une honnête paysanne vint lui confesser qu’elle se savait soupçonnée de sorcellerie, mais, forte de son innocence, elle ne voulait pas fuir le pays. Von Spee approuva cette détermination, estimant que dans l’espèce il n’y avait même pas matière à procès. Cependant la pauvre créature fut bientôt arrêtée et mise à la question ; elle avoua son prétendu crime et mourut sur le bûcher. L’inquisiteur, interpellé, reconnut qu’elle aurait pu être acquittée, s’il n’était demeuré à sa charge un grave indice de culpabilité : elle s’était enfuie de son village, et, pour expliquer son absence, elle avait prétendu être allée consulter le P. von Spee. Or, dit von Spee, c’était la vérité pure, et l’inquisiteur n’avait pas même pris la peine d’envoyer quelqu’un chez moi, ou de me mander pour éclaircir ses doutes[1] !

Il conclut nettement à l’abolition radicale de la torture, et il menace des peines éternelles les princes qui seront assez indifférents aux souffrances de leurs peuples pour laisser se perpétuer un aussi criant abus[2]. Sous une forme plus calme et plus digne, avec moins d’emphase et de déclamations, le jésuite allemand parle, dès 1631, comme le feront les encyclopédistes au XVIIIe siècle.

Cinquante ans environ après l’apparition de la Cautio criminalis, un magistrat français dédia au roi Louis XIV un petit livre, devenu aujourd’hui fort rare, écrit avec beaucoup d’esprit, de science et de courage, et qui réclamait aussi l’abolition complète de la torture[3].

Augustin Nicolas, conseiller au parlement de Besançon, est, comme Frédéric von Spee, un homme foncièrement pieux[4] ; il invoque souvent l’autorité de l’Évangile, où « Dieu nous commande pour la sûreté des bons d’épargner le supplice des méchans, et d’en laisser le soin à sa justice au grand jour[5] ». S’adressant à des chrétiens, il démontre longuement, trop lon-

  1. Caut. crim., Dub. XXIX, Argum. IV, p. 208.
  2. Ibid., Dub. XXIX, pp. 209 et suiv.
  3. Si la torture est un moyen seur a verifier les crimes secrets. Dissertation morale et juridique par laquelle il est amplement traité des abus qui se commettent partout en l’instruction des procès criminels et particulièrement de la recherche du sortilège.
  4. Il est toutefois partisan de la tolérance : « Notre profession du Christianisme n’a pas esté exempte de ces funestes excès, lors qu’un zèle mal ménagé nous a fait armer contre nos frères rebelles pour vanger sur eux l’interest de la divinité et l’altération de son culte et de la foy que nous luy devons ». Page 50.
  5. Page 93.