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Et cependant Carpzoviuis est à bien des égards un esprit éclairé ; il a, comme P. Ayrault, montré de la fermeté et de l’initiative en combattant pour la liberté de la défense, qui, aux yeux de beaucoup de ses confrères, était une nouveauté dangereuse et révolutionnaire. Mais en matière de torture, il n’ose pas s’insurger contre la routine, il montre pour des préjugés cruels une condescendance et une faiblesse étonnantes chez un homme de sa trempe. C’est comme son contemporain, Antoine Despeisses, avocat au parlement de Paris, qui fait sien le raisonnement de Montaigne, reconnait que « mille et mille ont chargé leurs testes de fausses confessions[1] », et démontre éloquemment que la torture est plutôt un « essai de patience que de vérité[2] », mais qui s’incline devant ce qu’il appelle la nécessité. La Bruyère résume en termes ironiques les inconvénients de la question, et dit que « c’est une invention merveilleuse et tout à fait sûre pour perdre un innocent qui a la complexion faible, et sauver un coupable qui est né robuste… Je dirais presque de moi : je ne serai jamais voleur ou meurtrier ; dire : je ne serai pas un jour puni comme tel, c’est parler bien hardiment[3] ».

Vient en France la réforme criminelle de 1670 : la cruelle pratique est maintenue. Nous possédons les procès-verbaux de la commission chargée par Louis XIV de rédiger la nouvelle ordonnance. Pussort et Lamoignon jouèrent dans ses débats un rôle prépondérant. Le premier, bien que partisan des mesures de terreur, fut forcé par l’évidence des faits de reconnaître le peu d’efficacité de la question préparatoire[4]. Lamoignon alla plus loin et proposa en vain l’abolition, d’une manière assez timide, il est vrai. Le seul progrès notable est la disposition de l’ordonnance qui défend de réitérer la question pour un même fait[5].

  1. Tome III, p. 117.
  2. Traité des crimes, t. I, tit. X.
  3. Caractères, chap. XIV.
  4. « M. Pussort déclare qu’au surplus la question préparatoire lui a toujours semblé inutile, et que, si l’on vouloit ôter la prévention d’un usage ancien, l’on trouveroit qu’il est rare qu’elle ait tiré la vérité de la bouche d’un condamné » [Procez-verhal des conférences, t. II, p. 224]. En France, on entend par la question préparatoire les tourments auxquels on soumet l’accusé pour lui faire avouer son crime ; la question préalable est infligée au condamné pour lui faire dénoncer ses complices.
  5. « M. le Président [Lamoignon] a dit qu’il voïoit de grandes raisons de l’ôter, mais qu’il n’avoit que son sentiment particulier. Cette dernière ouverture est restée sans effet » [Ibid.]