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ses contemporains, nous donne une description passablement complaisante des tourments subis par la Brinvilliers[1].

Il existe cependant, dès le XVIe siècle, des penseurs que cette grave question préoccupe et poursuit, même dans des études qui ne se rattachent pas directement à la science du droit.

Robert Estienne, dans sa traduction de la Rhétorique d’Aristote, signale l’inégalité des tempéraments physiques et déclare qu’un mode de preuve tiré de la souffrance ne peut fournir aucune certitude[2]. En Italie, Farinacius proteste contre les juges inhumains qui prennent plaisir à torturer longuement un accusé et qui s’évertuent à varier les supplices, à en inventer même de nouveaux[3] ; mais ce censeur sévère, dans un autre livre de sa Practica criminalis, estime que le juge, pour arracher la confession, peut user de fictions et de mensonges, et doit seulement s’abstenir de promettre l’impunité[4] ; les scrupules du criminaliste padouan ne vont pas au delà.

En Allemagne, Carpzovius connaît toutes les objections que l’on peut faire à la torture : « res dira et periculosa, corporibus hominum noxia, quæ damnum irreparabile infert[5] » ; mais il ajoute tout de suite : « Nihilhominus suadente necessitate, quo veritas exquiratur, tormenta adhibenda sunt[6] ».

  1. « Enfin, c’en est fait ! La Brinvilliers est en l’air ! Son pauvre petit corps a été jeté, après l’exécution, dans un fort grand feu, et ses cendres au vent ; de sorte que nous la respirerons, et que, par communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante, dont nous serons tout étonnés » [Lettre à Mme  de Grignan, du 17 juillet 1676].
  2. « Les témoignages tirés des tortures ne sont point certains, attendu que parfois il se trouve des hommes forts et robustes, ayant la peau dure comme la pierre, et le courage fort et puissant, qui endurent et supportent constamment la rigueur de la géhenne, au lieu que les hommes timides et appréhensifs, avant que d’avoir vu les tortures, demeurent incontinent éperdus et troublés, tellement qu’il n’y a point de certitude au témoignage des tortures » [Rhét. d’Aristote, liv. I, chap. XV].
  3. « Judices, qui propter delectationem, quam habent in torquendis reis inveniunt novas tormentorum species : ii enim appellantur judices irati et perversi et ratione eorum perversitatis Dominus eos confundet in inferno » [liv. I, tit. V, quæst. 38, n° 55, éd. de Francfort de 1622, p. 609].
  4. Au chapitre de Reo confesso et convicto, quest. 81, nos 305, 306, 307, t. III, p. 41.
  5. Practica nova imperialis rerum crim., p. III, q. cxvii, nos 3, 4, 5, éd. de 1723, t. III, p. 134.
  6. Ibid., n° 8.