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soubs luy nul remède d’enchanterie contre la force de la peine, pour durant la peine et torture pouvoir estre sans sentiments[1] ».

Le célèbre juriste italien, Hippolyte de Marsiliis, dont les ouvrages ont fait autorité dans toute l’Europe, rappelant le mot de Sénèque : etiam innocentes cogit mentiri dolor, recommande d’user des seuls tourments qui ne mettent pas la vie en danger. Lorsqu’il était juge à Lugano, il a substitué au chevalet le système de la veille, et il s’en félicite. Il cite un procès au cours duquel quarante heures de veille poursuivie sans interruption ont forcé des femmes à avouer leur crime[2]. Leur vie n’a pas été en péril, c’est possible, mais cette souffrance prolongée n’a-t-elle pas forcé l’aveu, et justifié une fois de plus le mot de Sénèque ?

Après de Marsiliis, J. Clarus[3] blâme les juges dont les rigueurs excessives aboutissent à de lamentables erreurs judiciaires ; il en cite dont il a été témoin[4], mais il n’ose pas conclure à l’abolition du système. Du reste, ce ne sont pas les jurisconsultes qui proposent les réformes, on l’a souvent observé ; elles ont toujours été faites malgré eux ; ils s’habituent à vivre avec la loi existante, quelque graves que soient ses défauts, et ils craignent que des modifications trop profondes n’entraînent des bouleversements dangereux pour l’ordre social.

  1. Pract. crim., XXXVII, 17, p. 49.
  2. Pract. caus. crim., VI, VII.
  3. « Les ouvrages de Clarus et de Farinacius ont exercé jusqu’à la fin du XVIIIe siècle une influence considérable sur l’administration de la justice criminelle et sur la doctrine. Ils étaient répandus en Italie, en Espagne, en France, en Allemagne, etc. Les criminalistes de ces divers pays invoquent leur autorité à chacune des pages de leurs livres » [Nypels, Bibliothèque choisie du droit criminel, éd. de 1863, p. xxv].
  4. « Multi enim innocentes propter tormentorum sævitiam confessi et condemnati fuerunt, ut etiam diebus nostris contigisse intellexi in duobus, qui tortura confessi fuerunt occidisse quemdam nobilem eorum inimicum, qui deinde post multos annos repertus fuit vivus in quodam castro carceratus per magnum quemdam dominum » [Pract. civ. atq. crim., 705]. Un commentateur de Clarus, Droghi, rappelle à ce propos l’histoire du cardinal Paul d’Arezzo, qui entra dans les ordres à la suite des remords qu’il éprouvait d’avoir, étant juge à Naples, condamné un innocent qui avait avoué, vaincu par les tourments de la question, et celle de Galeas de Zucchi, condamné dans les mêmes conditions, et sauvé au moment du supplice par la rétractation de l’accusateur. — Voir aussi de curieux exemples d’erreurs judiciaires causées par la torture, dans Charondas Le Caron, Pandectes du droit français, liv. IV, ch. X.