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et exigent la concomitance de charges nombreuses[1], et aucun de nos légistes du siècle dernier ne reprend pour son compte l’opinion inhumaine de Carpzovius, qui considère le trouble de l’accusé comme un indice suffisant pour autoriser le juge à livrer l’accusé au tortionnaire. Lorsque le patient parait éluder les questions, lorsque les expressions dont il se sert sont vagues ou obscures, Carpzovius estime qu’on doit pouvoir le tourmenter, afin de lui arracher des réponses plus claires et plus catégoriques. Comme si l’appréhension de la peine capitale et l’appareil imposant de la justice ne suffisaient pas à intimider les plus fermes[2] ! Nous pouvons le constater avec quelque satisfaction, le cruel conseiller de l’Électeur de Saxe n’avait pas fait école dans notre pays jusqu’à ce point-là. Cependant nos magistrats prisaient très haut les ouvrages de quelques jurisconsultes qui, inclinant à suivre Carpzovius dans cette voie inique, admettaient comme indices, « éloignés » il est vrai : le tremblement de la voix de l’accusé, l’affectation d’avoir l’oreille dure ou d’avoir perdu la mémoire, « la mauvaise physionomie de l’accusé » ou le vilain nom qu’il porte[3] ». Nous devons aussi signaler l’esprit barbare qui règne en matière d’enquêtes prévôtales : « Si l’on n’y prenait garde, écrit le Conseil de Brabant en 1720, le Prévôt exposerait tous les

  1. « Firmiter est credendum unum indicium ad tormenta non sufficere ; plura desiderari, quœ verisimilem faciant judici accusatoris intentionem » [Matthœus, p. 715]. — Rappelons, à titre de curiosité, qu’ « on ne peut admettre comme indice suffisant à torture que le corps de la victime saigne en présence du prévenu » … D’autre part, « la déclaration faite par un démon qui est dans le corps d’un possédé, quoyque après un exorcisme, n’est pas un indice suffisant pour faire appliquer à la question la personne qu’il accuse, si elle est de bonne réputation ; car le diable est menteur, et ne doit pas être en son pouvoir de faire punir quelqu’un » [Jugé au sénat de Chambéry, le 21 juin 1613]. Voir Despeisses, Œuvres complètes, éd. de Lyon, 1685, t. III, p. 116].
  2. « Ex parte inquisiti requiritur responsio distincta, clara et manifesta, ad singulos articulos et positiones… sed quid, si Reus coram judice constitutus nolit respondere interrogationibus sibi factis, cas præcisè affirmando vel negando ?… quin et hoc ipso, quod Reus non vult categorice respondere, sese satis suspectum facit, et indicium ad torturam sufficiens prœbet, ut sic nullo alio indicio opus sit » [Carpzovius, Practica nova, pars III, q. cxiii, nos 54-56, éd. de Leipzig de 1723, III, 111].
  3. Muyart de Vouglans, Les lois Criminelles de France [p. 810 de l’éd. de Paris de 1783]. Ce livre jouit d’un très grand crédit auprès de nos conseillers de justice. On en retrouve l’esprit et même parfois le texte dans les représentations adressées par les Conseils au Gouvernement quand Charles de Lorraine les eut invités à s’expliquer sur l’utilité de la suppression de la marque.