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presque complète. Rien n’est si arbitraire ni si difficile à fixer que ce caractère des indices. Certaines de nos coutumes exigent qu’il y ait « indices et présomptions violentes vérifiées chacune par deux tesmoins dignes de foy contre l’accusé, iceluy là dessus ouy[1] ». Mais, en général, le juge possède un pouvoir discrétionnaire réglé par la tradition. Dans son appréciation des preuves, il tiendra compte de la nature du crime et de la qualité des personnes : il sera moins scrupuleux si l’accusé est un vagabond que s’il est un citoyen honorable, et il sera plus prompt à ordonner la torture lorsqu’il s’agit d’un atroce forfait[2], qu’en matière de crimes ordinaires. C’est aux praticiens que nous devons demander le sens précis et usuel de la formule légale. En cas de vol, nous disent-ils, on considère comme indice grave que l’accusé ait la chose volée en sa possession ; s’il a fait des dépenses inusitées et s’il ne peut expliquer d’où lui viennent ces ressources extraordinaires, il y aura forte présomption contre lui ; de même, en cas de meurtre, si deux témoins ont vu l’accusé sortir de la maison du crime « ayant son épée nue et ensanglantée ». Toutefois, si l’accusé jouit d’une bonne réputation, et s’il ne paraît pas qu’il ait eu intérêt à commettre le crime, quelque grave que soit l’indice, il ne suffirait pas à légitimer l’emploi de la torture[3]. Certains juristes, tout en constatant qu’il est malaisé de déterminer le degré d’importance de l’indice, estiment suffisante la confession extrajudiciaire de l’accusé prouvée par deux témoins « idoines », faite librement, sans menaces ni tentatives de subornation[4] ; de même on peut se contenter de la déposition d’un seul témoin irréprochable, venant corroborer des indices d’importance secondaire, surtout si l’accusé est de réputation suspecte. Cependant les plus éclairés combattent la théorie de l’indice unique

  1. Cout. de Bouillon, article 30 [dans Laurent, Cout. du Luxembourg, 2e suppl., p. 435].
  2. D’autres juristes vont jusqu’à soutenir que les indices ne sont point nécessaires quand il s’agit d’un crime atroce et laissant peu de traces, comme la haute trahison. Dans ce cas, le juge aurait le droit de torture absolument arbitraire. Ceci est en contradiction formelle avec le texte des ordonnances de 1570 [Voir Van Heemskerk, Batavische Arcadia, p. 505].
  3. Serpillon, p. 912.
  4. Jousse ajoute gravement : « Il faut que cette confession ait été faite sérieusement et non par forme de plaisanterie ou de badinage » [Traité de la just. crim., t. II, p. 479].