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V. La torture dont on se sert pour convaincre l’accusé. — Nous arrivons enfin à la torture la plus usitée, celle dont on se sert pour convaincre un accusé. Nous aurons à constater la fréquence de sa pratique, à tous les degrés de la juridiction, dans toutes les provinces des Pays-Bas, pendant le cours entier du XVIIIe siècle, même après la première conquête française. Il en est du reste ainsi dans la plupart des pays de l’Europe.

Certes, la question n’est pas appliquée d’une manière uniforme dans tous les ressorts judiciaires des Pays-Bas ; mais, au-dessus des divergences locales, on observe cependant certains principes généraux[1].

D’abord il faut un jugement formel ordonnant la torture[2]. Avant de rendre ce jugement, les magistrats doivent constater la réalité du corps du délit, établir que le crime a été réellement commis[3] ; cette précaution est indispensable pour éviter le retour d’erreurs judiciaires

  1. De Pape dit qu’il n’y a pas de principes généraux pour l’usage de la torture, que « chaque tribunal suivait son style » [Wynants, Manuscr. sur Messire L.-J. de Pape et son traité de la Joyeuse Entrée, art. 53] ; nous verrons que c’est une erreur.
  2. Article 108 de la Joyeuse Entrée de Marie de Bourgogne : « Le détenu… ne pourra être mis à la question par la torture, si ce n’est après que l’officier aura montré le résultat de son information aux magistrats du lieu. L’accusé entendu, les magistrats ordonneront la torture, s’il appartient » [Anselmo, Cod. belgicus, p. 59 de l’éd. de 1662]. — Disposition analogue de la Coutume d’Anvers [éd. de Longé, p. 111] ; de Lierre [Coutume de Brabant, t. V, p. 445] ; de Gand [éd. Gheldolf, t. I, p. 495] ; d’Aerschot [éd. Casier, p. 7] ; de Tirlemont [id., p. 699] ; de Diest [id., t. I, p. 583] ; de Louvain [id., t. I, p. 17] ; d’Herenthals [Cout. de Brabant, éd. de Longé, t. VII, p. 111] ; de Gheel [id., t. VII, p. 437]. Les archives judiciaires prouvent à l’évidence que cette stipulation est toujours observée quand il y a en cause une personne « jouissant de bon nom et bonne renommée ». Il n’y a guère d’exceptions que lorsqu’il s’agit de vagabonds et de gens sans aveu ; encore ces exceptions sont-elles infiniment rares au XVIIIe siècle.
  3. Damhoudere disait : « L’on ne submettra personne à la torture quand il n’est apparu le cas être advenu » [Pract. crim., chap. XXXV, 6, p. 44, éd. de Paris, 1555]. — Cette condition est requise dans tous les pays où la torture est en usage : le délit doit être constant, c’est la première de toutes les règles. Toutes les fois que l’on s’est écarté de cette maxime, on a péché contre les principes les plus certains et on s’est exposé à faire périr des innocents. Brillon, au mot Homicide, t. III, p. 608, rapporte un arrêt du 21 novembre 1580, qui interdit des juges pour avoir condamné à mort pour un prétendu assassiné qui revint au pays deux ans après. Il y a de semblables exemples à Paris et à Dijon [Serpillon, Code crim. de la France, p. 918].