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finit cependant par comprendre que des dispositions aussi barbares ne pouvaient être efficaces, et, par les articles 13 et 14 de leur édit du 28 septembre 1617, les archiducs Albert et Isabelle prescrivirent aux officiers de justice de se borner à interroger attentivement les vagabonds, sans les appliquer à la torture, à moins qu’ils ne fussent formellement accusés de crimes précis et qu’il n’y eût contre eux des indices graves[1]. Nous assistons alors à un spectacle bizarre : les tribunaux qui ont négligé d’appliquer une loi qu’ils trouvaient trop sévère, deviennent plus rigoureux quand la législation est adoucie par les princes ; cette tradition se perpétue, et nous voyons des jurisconsultes tels que Wynants et Zypaeus[2] admettre, contrairement au texte formel de l’édit précité des archiducs, que le fait seul du vagabondage est « un indice suffisant à torture » ; tout au plus recommandent-ils aux juges la modération. Vers la fin du XVIIIe siècle, les tribunaux brabançons déclarent qu’un vagabond peut être soumis à la question « ob vilem personarum qualitatem », sur des preuves et des indices que l’on estimerait insuffisants, s’il s’agissait d’un « citoyen surcéant[3] ». Toutefois, nous sommes heureux de le constater, ce ne sont plus là que des discussions purement théoriques, et le Président de Fierlant considère la torture d’inquisition comme abrogée de fait : « J’ai trop bonne opinion, dit-il, des tribunaux de ces provinces, pour pouvoir m’imaginer qu’il y en ait un seul qui l’observe encore, ou dont les membres aient l’esprit assez mal tourné pour penser qu’il convient de faire revivre cette pratique atroce[4] ».

  1. Plac. de Flandre, t. II, p. 166.
  2. Wynants, De publicis judiciis, titre XVIII. — Zypaeus : « Excipiuntur etiam a regula communi ! vagabundi, qui idonee respondere non possunt. At vero, nisi alia indicia concurrent, levem esse hujusmodi torturam oportet » [Notitia juris belgici, t. IX, 4, p. 299].
  3. Wynants, Ibid.
  4. Mémoire sur la torture, p. 198 : « La torture d’inquisition n’a jamais été reçue ni pratiquée en Hainaut. Les ordonnances de 1540 et autres qui l’avaient établie contre les fainéans, vagabonds et gens sans aveu n’ont pas été promulguées audit païs, et nous croyons qu’une pareille loi seroit d’une très dangereuse conséquence, et contraire à la bonne administration de la justice » [Avis du Conseil de Hainaut, 29 juillet 1781, Conseil privé, Registre 406bis, fo 115].