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INTRODUCTION.



La torture, dit un éminent criminaliste contemporain[1], repose sur une intuition psychologique d’une certaine profondeur. L’homme le plus menteur a un penchant naturel à dire ce qu’il sait, ou, s’il dit le contraire, c’est en exerçant son empire sur soi-même par une grande dépense de force cérébrale. Or, en infligeant à cet homme un tourment physique, on oblige la plus grande part ou la totalité de son énergie à se tourner en résistance à la douleur, et dès lors son secret doit lui échapper, faute d’obstacle qui l’arrête[2].

Les anciens se sont-ils fait cet ingénieux raisonnement ? Leurs historiens ne nous le disent pas, mais ils nous rapportent que la torture a existé en Orient, en Grèce et à Rome. Pendant des siècles, elle n’a été appliquée qu’aux esclaves cités comme témoins[3] ; la déposition de ces malheureux ne pouvait avoir quelque valeur que si elle était arrachée par les supplices.[4] On voyait les accusateurs soumettre à la torture les esclaves de l’accusé pour chercher dans leurs réponses les indices nécessaires, et l’accusé lui-même les offrir spontanément à cette terrible épreuve pour purger son accusation.

Avec les progrès du despotisme impérial à Rome, les sauvegardes des citoyens ont disparu. Sous l’incrimination vague et flexible de lèse-majesté,

  1. Tarde, La philosophie pénale, p. 438.
  2. Tout en admettant l’efficacité de la torture à l’égard de celui qui sait, Tarde ajoute : « là où l’absurdité commence, c’est quand on applique cette affreuse méthode à des gens qui peuvent ne rien savoir. » (Ibid.)
  3. Nous n’avons pas trouvé de traces de tortures infligées durant l’époque moderne à des témoins. Certains juristes semblent regretter que cela ne soit pas permis, et il en est qui soutiennent la légitimité du procédé : « Testis, qui cogni potest alias ad testimonium feremdum, detrectans dicere testimonium de causâ arduà, de quâ constat posse eum, si velit, testimonium perhibere, tormenta etiam ad hoc potest urgeri, ob singularem scilicet veritatis favorem. Overlach, Diss. jurid. de torturis. Wittenberg, 1689, corollaria II.
  4. Voir dans les Grenouilles d’Aristophane les sept espèces de torture usitées (trad. Artaud, p. 433)