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assassiné sa femme. La grâce fut accordée d’abord parce qu’ « il ne conste pas assez de l’identité de la personne assassinée avec la femme du prisonnier, » — ce que les échevins ne contestent pas ! — ensuite parce que l’accusé est absolument sourd ; enfin, et ceci est une concession apparente aux préjugés judiciaires, « à cause qu’il n’y a pas ici des circonstances » secrettes dont la révélation faite par l’accusé sur la torture peut seule donner au juge l’appaisement requis ». Les échevins devront donc juger sur témoignages et sur pièces[1]. Le 1er  août de la même année, Guillaume B…, de Fouron-Saint-Martin, pendant les fêtes de la kermesse, où, en signe de réjouissance, on tirait des coups de fusil, a tué un de ses amis. Sans doute, disent les échevins, la victime était un de ses amis, mais il y avait une pierre dans son arme : il a peut-être visé un autre individu dans la bagarre, et le coup aura mal porté. « Pour le convaincre définitivement, il devrait préalablement être appliqué à la question[2] ». Défense fut faite aux juges de Fouron de passer outre, ce qui ne les empêcha pas de garder le malheureux B… en prison pendant quatre années. Aussi, lorsque, en 1783, le Gouvernement apprit cet abus de pouvoir, infligea-t-il un blâme sévère aux échevins et fit-il mettre immédiatement B… en liberté[3]. La même année encore, un prêtre du diocèse de Bruges, Jean Bauwens[4], fut poursuivi devant

  1. Conseil privé, carton 704.
  2. Ibid.
  3. Le dossier de cette affaire contient une lettre très curieuse de Ernst, officier criminel à Fouron. Nous y lisons : « Ce qui m’embarrasse le plus en cas de poursuite ultérieure de la procédure [soit dit sous le sacré sceau du secret que nous avons juré tous] : que je crois devoir m’attendre que je ne parviendrai pas en ce cas à une preuve phisique ou légalement convaincante du fait, ne fût-ce peut-être au moien d’une question ou torture !
    xxxx» Quoiqu’en qualité de juge j’ai cru cent fois devoir dicter ce moien vraiment cruel et en quelque sorte inhumain, je frémis lorsque je prévois que je pourrois me trouver ici dans le cas de le pratiquer comme accusateur. Je crois néanmoins que le procès y sera disposé, au défaut de remission, et quoique l’humanité en souffrira beaucoup, je l’exécuterai avec la fermeté et la prudence requises, si le juge règle la cause à ce moien de preuve » [Conseil privé, carton 704].
  4. Cette affaire Bauwens donna lieu à une polémique très vive entre le Gouvernement et l’évêque de Bruges qui réclamait l’accusé en invoquant le privilège du for ecclésiastique. Le Conseil privé, dans une longue et importante consulte du 17 mai 1781 [Registre 556], donna tort à l’évêque sur le fond, mais il reconnut cependant que les Fiscaux avaient eu mauvaise grâce à arrêter Bauwens « avec un éclat extraordinaire ». Marie-Christine leur recommanda « d’éviter désormais le scandale lorsque, comme cela auroit pu se faire dans le cas présent, on peut l’éviter sans craindre de manquer l’appréhension du coupable » [Conseil privé, Registre 248, fo 195 vo].