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au grand bailli Van den Deurpe. Le procureur gantois s’étend longuement sur les considérations d’ordre public qui exigent la répression des crimes, et surtout sur la « groote atrossiteyd » du crime reproché à B…[1]. Il conclut au rejet de la requête des suppliants, qui, connaissant, dit-il, les dispositions du Gouvernement au sujet de la torture, essaient d’obtenir qu’elle ne soit pas appliquée[2]. Les requérants invoquent à tort les ordonnances de 1570, car celles-ci autorisent la mise à la question quand il y a des preuves telles qu’il ne manque plus, en quelque sorte, que la confession de l’accusé. Mais le sévère magistrat oublie qu’il vient de consacrer plusieurs pages à démontrer que la culpabilité de l’accusé ne présente pas le moindre doute. Or, les ordonnances disent formellement que, dans ce cas, la torture ne doit pas être employée, l’accusé s’opiniâtrât-il dans ses dénégations. Dans son zèle, il va jusqu’à prétendre que le crime de B… est un de ceux pour lesquels les antagonistes mêmes de la torture la jugent nécessaire[3], et il cite Voltaire et Carpzovius — qu’il est assez piquant de voir associés — pour montrer que l’assassinat d’une femme par son mari est aussi grave qu’un parricide. Ce rapport fut approuvé par les échevins, et le Gouvernement repoussa la requête des frères de B… Celui-ci subit les tourments de la question le 4 septembre 1780[4], depuis 3 heures de relevée jusqu’au lendemain à la même heure, sans interruption, et sans que les habiletés du bourreau lui eussent arraché un aveu.

  1. Ce volumineux rapport est conservé aux Archives communales de Gand : Avis en matière criminelle, série 209.
  2. « De supplianten dan gevoelende uyt het publicq geruchte dat de saeke meer ende meer naederde tot de confictie, ende beduchtende eene sententie tortionnaire, hebben het Gouvernement het welcke sij weten delicaet te syn op het fait van de torture, by middel van eenige daer omtrent opgeproncke raisonnementen tot medelyden trachten te bewegen ».
  3. « Hiermede consteert het claerlijck dat het cas voorhanden is van de natuer van de criemen, in de welcke de meeste antagonisten van de torture convenieren de selve te moeten gebruyckt worden ».
  4. Le procès-verbal détaillé de cette mise à la question est conservé aux Archives communales de Gand [Criminele processtukken, portefeuille 213-274]. Le patient insulta ses juges, proféra des blasphèmes et des grossièretés incroyables. Voir pièces justificatives, n° VII. Il fut condamné à trente ans de travaux forcés. La sentence constate « dat gy, in misachtinghe van de justitie ende met het uytterste disrespect aen uwen rechter al spottende ende schimpende by uwe ontkentenissen syt blyven persisteren ».