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dant si la torture, « telle que les tribunaux les plus éclairés des Pays-Bas en font usage[1] », ne présente pas l’inconvénient d’être « contraire à la défense naturelle » en forçant le prisonnier, non seulement de s’accuser, mais encore de fournir lui-même les preuves qui manquent pour le condamner à mort ; contraire à la justice, puisqu’elle fait subir un supplice à un homme qui n’est pas encore reconnu coupable ; plus favorable aux criminels qu’aux innocents ; enfin, n’offrant aucune certitude morale au juge, et causant un tort irréparable à l’innocent, en le mettant dans le cas de ne pouvoir être renvoyé absous qu’après avoir été flétri par la main du bourreau et avoir subi des tourments cruels sans avoir mérité la peine la plus légère ; de Fierlant se demande si ces inconvénients, inséparables de l’usage de la torture, ne sont pas assez graves pour la faire « proscrire de nos tribunaux comme incompatible avec cet esprit de douceur, de justice et d’humanité qui caractérise l’Auguste Princesse qui leur confie l’exercice de la juridiction criminelle », d’autant plus qu’une expérience concluante a été tentée dans plusieurs pays où le système nouveau n’a nullement accru la criminalité.

Dès le 22 juin, Charles de Lorraine fit adresser un exemplaire de ces mémoires à tous les Conseils de justice du pays ; il leur prescrivit de les discuter et de lui transmettre au plus tôt le résultat de leurs délibérations[2].

  1. Ceci, croyons-nous, répond à ce qu’avait écrit le comte de Wynants : « Tout ce qu’on doit tirer de quelques exemples où ce moien a mal réussi, est de s’en servir avec grande précaution, et de gouverner ce rasoir à bon effet, mais extrêmement tranchant d’une main ferme et délicate qui n’en mésuse pas » [Remarques sur les ordonnances du Conseil de Brabant du 13 avril 1604, fo 373, dans le manuscrit 14515 de la Bibliothèque royale de Bruxelles]. Ailleurs, ce même comte de Wynants tient l’incroyable langage que voici : « On peut voir cette matière plus amplement discutée chez plusieurs de nos autheurs, me paroissant qu’il est inutile d’en rapporter les raisons, puisque, la torture étant reçue chez nous et prescrite par plusieurs édits et ordonnances, nous n’avons qu’à nous conformer aux règles établies par le prince, sans nous rompre la tête à examiner si les loix sont justes ou non, l’honneur d’obéir étant le partage des sujets et des ministres du souverain, manet eos obsequendi gloria, non authoritas imperandi, comme a dit quelque part un pape » [Ibid., fo 372].
  2. Voir la lettre d’envoi dans l’introduction aux mémoires, p. 163. Les mémoires firent excellente impression à Vienne. Le 6 juillet 1771, Kaunitz écrivait à Starhemberg : « Je suis charmé de voir, par la lettre de Votre Altesse du 25 juin, qu’elle est parvenue à la fin à avoir l’avis du Conseil privé sur l’idée de supprimer la question aux Pays-Bas. Le mémoire que cette compagnie a formé là dessus est très bien travaillé, et j’espère qu’il