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Puis, on lie la victime au poteau. À ce moment, le caractère sacré qu’elle est en train d’acquérir est déjà tel que le brahmane ne peut plus la toucher avec les mains, et que le sacrificateur lui-même hésite à s’en approcher. Il a besoin d’y être invité et encouragé par une formule spéciale que lui adresse un prêtre[1]. Et cependant, pour porter à ces dernières limites cette religiosité déjà si haute, trois séries de rites sont nécessaires. On fait boire de l’eau à la bête[2], car l’eau est divine ; on la lustre en dessus, en dessous, partout[3]. Ensuite, on l’oint de beurre fondu sur la tête, sur le garrot et les deux épaules, sur la croupe et entre les deux cornes. Ces onctions correspondent à celles qui se faisaient avec de l’huile dans le sacrifice hébreu, à la cérémonie de la mola salsa à Rome, aux οὐλαί ou grains d’orge que les assistants, en Grèce, jetaient sur l’animal[4]. De même, on retrouve un peu partout des libations analogues à celles dont nous venons de parler. Elles avaient pour objet de produire une accumulation de sainteté sur la

  1. Âp., VII, 13, 8. Le mantra est T. S., 1, 3, 8, 1 commenté, 6, 3, 6, 3, dhṛṣa manuṣa « affermis-toi, ô homme ! » — Une autre tradition V. S., VI, 8, Ç. Br., 3, 7, 4, 1, veut qu’on adresse à la bête la formule dhṛṣa manuṣân, « affermis les hommes ». Nous croyons, contrairement à l’opinion de M. Schwab (op. cit., p. 81, n. 2), que le texte des Taitt. est plus fondé, dans la nature du rite. Les Vâjasaneins représentent, là comme ailleurs, une tradition plus épurée et rationalisée. Le rapprochement avec R. V., I, 63, 3, ne prévaut pas.
  2. Âp., VII, 13, 9 et comm. On lui dit : « tu es un buveur d’eau » : V. S., VI, 10 a. T. S., 1, 3, 8, 1. M. Ludwig ad R. V., X, 36, 8, t. IV, p. 233 pense (cf. Sây. ad Taitt. S.) que le sens est : « Tu as soif d’eau ». Mais le sens que nous adoptons est celui qu’indiquent le Ç. Br., 3, 7, 4. 6, Cf. T. S., 6, 3, 6, 4 fin, ainsi que les comm. à V. S., loc. cit. et à Kât., 6, 3, 32. En faisant boire la bête, on la rend intérieurement pure. De même le sacrifiant se rince la bouche avant le sacrifice.
  3. Âp., VII, 13 sqq.
  4. H. v. Fritze, Οὐλαί, Hermès, 1897, p. 255 sqq. M. Stengel pense que les οὐλαί sont le pain du repas divin. À Mégare, dans le sacrifice à Tereus, les οὐλαί étaient remplacées par des cailloux : Paus., I, 41, 9. Cf. Lefébure, Origines du Fétichisme, Mélusine, 1897, p. 151, et Folklore, 1898, p. 15. En Sicile, les compagnons d’Ulysse en sacrifiant trois bœufs du soleil se servirent de feuilles en guise d’οὐλαί. Cf. Paus., I, 9, 4. Le jet d’οὐλαί peut être un moyen de communication entre le sacrifiant et la victime, ou bien encore une lustration fécondante comparable aux jets de grains sur la mariée.