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prêtre, l’autel et le poteau. À la périphérie, chez le laïque dans l’intérêt duquel le sacrifice a lieu, la religiosité est faible, minima. Elle va croissant à mesure que l’espace dans lequel elle se développe, va lui-même se resserrant. Toute la vie du milieu sacrificiel s’organise ainsi et se concentre autour d’un même foyer ; tout converge vers la victime qui va maintenant apparaître. Tout est prêt pour la recevoir. On l’amène.

Parfois, elle était sacrée du fait même de sa naissance ; l’espèce à laquelle elle appartenait était unie à la divinité par des liens spéciaux[1]. Ayant ainsi un caractère divin congénital, elle n’avait pas besoin de l’acquérir spécialement pour la circonstance. Mais, le plus généralement, des rites appropriés étaient nécessaires pour la mettre dans l’état religieux qu’exigeait le rôle auquel elle était destinée. Dans certains cas, où elle avait été désignée longtemps à l’avance, ces cérémonies avaient eu lieu avant qu’elle ne fût amenée sur le lieu du sacrifice[2]. Souvent aussi, elle n’avait encore rien de sacré à ce moment. Elle était seulement tenue de remplir certaines conditions qui la rendaient apte à recevoir la consécration. Elle devait être

  1. Ces cas comprennent ceux où les victimes sont des êtres totémiques ou d’anciens totems. Mais il n’est pas logiquement nécessaire que des animaux sacrés aient eu toujours ce caractère (voir Marillier, Rev. de l’Hist. des Relig., 1898, I, p. 230-231 ; Frazer, Gold. B., II, p. 135-138) comme le soutient, par exemple, M. Jevons (Introd. to the Hist. of. Relig., p. 55). Cette théorie est en partie celle de Rob. Smith, Kinship, p. 308 sqq. et Rel. Sem., p. 357, sqq. — La vérité est que, d’une façon ou d’une autre, il y a une relation définie entre le dieu et sa victime et que celle-ci arrive souvent au sacrifice déjà consacrée. Ex. Stengel, op. cit., p. 107 sqq. — Marquardt, op. cit., p. 172. — Bull. Corr. Hell., 1889, p. 169. Schol. Apoll. Rhod., II, 549 (sacrifice de colombes). — Ramsay, Cities and Bishoprics of Phrygia, I, p. 138. — Paus., III, 14, 9 et Frazer, ad loc.Plut., Qu. Rom., 111. — Ath., VIII, p. 346 d (sacrifice du poisson à Hiérapolis), etc. — Dans d’autres cas, le dieu refusait certaines victimes. Ex. Paus., X, 32, 8. — Hérod., IV, 33 ; Paus., II, 10, 4. — Jahwe n’admit jamais que les quatre espèces d’animaux purs : ovines, bovines, caprines, et les colombes.
  2. C’est encore un cas très général : ainsi le cheval de l’açvamedha était soigné, adoré, pendant de longs mois (voy. Hillebr., Nationalopfer in Alt-Indien in Festgr. Böhtlingk, p. 40 sqq.) : de même la meriah des Khonds, l’ours des Aïnos, etc., tous cas bien connus.