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attentivement purifiés. Mais il en est un qui doit retenir notre attention ; car il fait, à vrai dire, partie de l’autel[1] ; c’est le yûpa, le poteau auquel va être liée la bête. Ce n’est pas une matière brute ; mais l’arbre avec lequel il a été fait avait déjà par lui-même une nature divine[2], que des onctions et des libations ont encore renforcée[3]. Il occupe, lui aussi, une situation éminente, car c’est là que se tiendra le plus important de tous les personnages visibles qui prendront part à la cérémonie[4], la victime. Aussi les Brâhmaṇas le représentent-ils comme un des points où viennent converger et se concentrer toutes les forces religieuses qui sont en jeu dans le sacrifice. Par sa tige élancée, il rappelle la manière dont les dieux sont montés au ciel[5] ; par sa partie supérieure, il donne pouvoir sur les

  1. Âp. çr. sû., VII, 9, 6. Il est planté de telle façon qu’une moitié en soit dans la limite de la vedi, une autre moitié en dehors.
  2. On recherche un arbre d’essence déterminée (T. S., 6, 3, 3, 4, Âp. çr. sû., VII, 1, 16, 17. Voir Schwab, p. 2 sqq.). On l’adore et le propitie (Âp. çr. sû., VII, 2, 1) ; on l’oint ; on le coupe avec précautions ; on oint et on incante la souche. Toutes cérémonies qui, comme l’a vu M. Oldenberg, marquent bien un cas d’ancien culte de la végétation, (Rel. d. Ved., p. 256). M. Old compare encore (p. 90) ce poteau, d’une part aux poteaux sacrificiels en général et en particulier à l’ashera sémitique, plantée, elle aussi, sur l’autel (Voy. Rob. Smith, Rel. of Sem., p. 187, n. 1). Les deux rapprochements sont en partie fondés.
  3. Âp. çr. sû., VII, 10, 1 sqq. Pour le sens du rite (T. S., 6, 3, 4, 2, 3). Le rite tout entier avec tout son symbolisme est certainement ancien. Pendant qu’on oint le yûpa, qu’on l’enfonce et le dresse, ce sont des mantras du Ṛg veda que récite le hotar (Âçv. çr. sû., 3, 1, 8-11). — Les mantras sont dans l’ordre suivant : I, 36, 13, 14 ; III, 8, 13, 2, 5, 4 (Hymne âprî) ; au cas où il y a plusieurs bêtes sacrifiées et plusieurs poteaux, III, 8, 6, 11. Le même rituel est prescrit, Ait. Br., 6, 2, 17, 23, qui commente les vers du Rig-veda. Cet hymne exprime déjà les diverses fonctions du yûpa, qui tue les démons, protège les hommes, symbolise la vie, porte l’offrande aux dieux, étaie le ciel et la terre. Cf. T. S., 6, 3, 4, 1, 3.
  4. Le sacrifiant reste lui aussi, un certain temps, tenant le yûpa. (Âp. çr. sû., VII, 11, 5. Selon certains sûtras, la femme et l’officiant y restent aussi. La tradition des Âpastambins paraît meilleure). En tous cas c’est le sacrifiant qui fait une partie des onctions, et passe sa main tout le long du poteau. Tous ces rites ont pour but d’identifier le sacrifiant au poteau et à la victime dont on lui fait prendre pendant un certain temps la place.
  5. Ait. Br., 6, 1, 1 ; cf. Çat. Br., 1, 6, 2, 1, etc.