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peut l’aborder de plus près et avec moins de crainte que le laïque, taché peut-être de souillures inconnues. En même temps, il évite au sacrifiant des erreurs funestes. Quelquefois même le profane est exclu formellement du sanctuaire et du sacrifice[1]. Le prêtre est donc, d’une part, le mandataire du sacrifiant[2] dont il partage l’état et dont il porte les fautes[3]. Mais, d’un autre côté, il est marqué d’un sceau divin[4]. Il porte le nom[5], le titre[6] ou le costume[7] de son dieu ; il est son ministre, son incarnation même[8], ou tout au moins le dépositaire de sa puissance. Il est l’agent visible de la consécration dans le sacrifice ; en somme, il est sur le seuil du monde sacré et du monde profane et il les représente simultanément. Ils se rejoignent en lui.

Par suite de ce caractère religieux, on pourrait croire qu’il peut, lui du moins, entrer dans le sacrifice sans initiation préalable. C’est en effet ce qui se passait dans l’Inde.

  1. Ézéch. XLIV, 9, 11.
  2. II Chron. XXX, 17. Les Lévites sacrifient la Pâque pour les impurs. — En l’absence du sacrifiant hindou, on pouvait accomplir pour lui certains rites essentiels (Hillebrandt, Neu- und Vollmondsopfer, p. 146, n. 7).
  3. Ex. XXVIII, 48. — Nomb. XVIII, 1, 2, 3.
  4. Ces deux caractères sont bien marqués en ce qui concerne le brahmane. D’une part il est si bien le délégué du sacrifiant qu’il devient le maître de sa vie (voy. Sylv. Lévi, Doctrine du sacrifice dans les Brâhmaṇas, p. 12). D’autre part, il est si bien le délégué des dieux qu’on le traite souvent comme tel, lorsqu’on l’invite au sacrifice, lorsqu’il reçoit sa part sacerdotale (voy. plus bas, p. 63, n. 6). Sur le caractère du brahmane dans le rituel, voir Weber, Ind. Stud., X, p. 185 : Cf. Çat. Br., 1, 7, 1, 5 où les brahmanes sont appelés dieux humains.
  5. Culte d’Attis et de Cybèle, voy. Frazer, Gold. B., I, p. 300. Paus., VIII, 13, 1 ; Cf. Frazer, Pausanias, t. IV, p. 223, t. V, p. 261. Back, De Græcorum cæremoniis in quibus homines deorum vice fungebantur, Berlin, 1883.
  6. Paus., VI, 20, 1.
  7. Paus., VIII, 15, 2 : Culte de Déméter à Phénée en Arcadie. — Polyaen., VII, 59 : Culte d’Athéné à Pellène. Voir Samter, Römische Sühnriten, die Trabea, Philologus, 1896, LVI, p. 393, pour le vêtement du prêtre romain. Pourtant, selon Macrobe, III, 6, 17, on sacrifie la tête voilée à l’Ara Maxima, « ne quis in æde dei habitum ejus imitetur ».
  8. Cf. Frazer, Gold. B., I, p. 286, 338, 348, 368, 370 ; II, p. 2, 27. — Höfler, Corr. Bl. d. deut. Gesell. f. Anthr., 1896, 5.