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rents opérations a été si bien sentie par les Hindous que les objets offerts dans ces différents cas ont été eux-mêmes identifiés. Ils sont tous également considérés comme vivants et traités comme tels. Ainsi, au moment où, dans un sacrifice suffisamment solennel, on concasse les grains, on les supplie de ne pas se venger sur le sacrifiant du mal qu’on leur fait. Lorsqu’on dépose les gâteaux sur les tessons pour les cuire, on les prie de ne pas se briser[1] ; lorsqu’on les coupe, on les implore pour qu’ils ne blessent pas le sacrifiant et les prêtres. Quand on fait une libation de lait (et toutes les libations hindoues se font avec du lait ou l’un de ses produits), ce n’est pas quelque chose d’inanimé qu’on offre, c’est la vache elle-même dans son suc, dans sa sève, dans sa fécondité[2].

Nous arrivons donc finalement à la formule suivante : Le sacrifice est un acte religieux qui, par la consécration d’une victime, modifie l’état de la personne morale qui l’accomplit ou de certains objets auxquels elle s’intéresse[3].

  1. Voir les textes cités par Hillebrandt, Neu- und Vollmonds-Opfer, p. 42, 43.
  2. Ces offrandes végétales se sont-elles substituées aux sacrifices sanglants, comme le voulait la formule romaine in sacris simulata pro veris accipi (Serv., Ad Aen., II, 416 ; Fest., p. 360 b) ? Il était commode sans doute d’imaginer un passage progressif du sacrifice humain au sacrifice animal, puis du sacrifice animal au sacrifice de figurines représentant des animaux et de là, enfin, aux offrandes de gâteaux. Il est possible que, dans certains cas, d’ailleurs mal connus, l’introduction de nouveaux rituels ait produit de ces substitutions. Mais rien n’autorise à généraliser ces faits. Même l’histoire de certains sacrifices présente plutôt une succession inverse. Les animaux de pâte sacrifiés dans certaines fêtes agraires sont des images des démons agraires et non des simulacres de victimes animales. L’analyse de ces cérémonies donnera plus loin les raisons de tout ceci.
  3. Il résulte de cette définition qu’il y a entre la peine religieuse et le sacrifice (du moins le sacrifice expiatoire) des analogies et des différences. La peine religieuse, elle aussi, implique une consécration (consecratio bonorum et capitis) : elle consiste en une destruction qui effectue cette consécration. Les rites sont assez semblables à ceux du sacrifice pour que R. Smith y ait vu l’un des modèles du sacrifice expiatoire. Seulement, dans le cas de la peine, la manifestation violente de la consécration porte directement sur le sujet qui a commis le crime et qui l’expie lui-même ; dans le cas du sacrifice expiatoire, au contraire, il y a substitution et c’est sur la victime, non sur le coupable que tombe l’expia-