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cration sacrificielle ne se fait pas directement sentir sur le sacrifiant lui-même, mais sur certaines choses qui tiennent plus ou moins directement à sa personne. Dans le sacrifice qui a lieu lors de la construction d’une maison[1], c’est la maison qui est affectée et la qualité qu’elle a acquise ainsi peut survivre à son propriétaire actuel. Dans d’autres cas, c’est le champ du sacrifiant, la rivière qu’il doit passer, le serment qu’il prête, l’alliance qu’il conclut, etc. Nous appellerons objets du sacrifice ces sortes de choses en vue desquelles le sacrifice a lieu. Il importe, d’ailleurs, de remarquer que le sacrifiant est atteint, lui aussi, en raison même de sa présence au sacrifice et de la part ou de l’intérêt qu’il y prend. L’action rayonnante du sacrifice est ici particulièrement sensible ; car il produit un double effet, l’un sur l’objet pour lequel il est offert et sur lequel on veut agir, l’autre sur la personne morale qui désire et provoque cet effet. Quelquefois même, il n’est utile qu’à condition d’avoir ce double résultat. Quand un père de famille sacrifie pour l’inauguration de sa maison, il faut non seulement que la maison puisse recevoir sa famille, mais encore que celle-ci soit en état d’y entrer[2].

On voit quel est le trait distinctif de la consécration dans le sacrifice ; c’est que la chose consacrée sert d’intermédiaire entre le sacrifiant, ou l’objet qui doit recevoir les effets utiles du sacrifice, et la divinité à qui le sacrifice est généralement adressé. L’homme et le dieu ne sont pas en contact immédiat. Par là, le sacrifice se distingue de la plupart des faits désignés sous le nom d’alliance par le sang, où se produit, par l’échange du sang, une fusion directe de la vie humaine et de la vie divine[3]. Nous en dirons autant

  1. Voir plus loin, p. 89-90.
  2. Voir plus loin, p. 90, n. 1. Nous citerons particulièrement les sacrifices célébrés pour l’entrée d’un hôte dans la maison : H. C. Trumbull, Threshold Covenant, p. 1, sqq.
  3. Sur l’alliance par le sang et la façon dont elle a été rattachée au sacrifice, voy. R. Smith, Rel. of Sem., lect. IX ; H. C. Trumbull, The Blood covenant.