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pour justifier les sacrifices annuels : ils commémoraient et rééditaient un drame dont le dieu était la victime. M. Frazer reconnut la similitude qui existe entre ces dieux sacrifiés et les démons agraires de Mannhardt[1]. Il rapprocha du sacrifice totémique le meurtre rituel des génies de la végétation ; il montra comment du sacrifice et du repas communiel, où l’on était censé s’assimiler les dieux, sortit le sacrifice agraire où, pour s’allier au dieu des champs à la fin de sa vie annuelle, on le tuait, puis le mangeait. Il constata en même temps que, souvent, le vieux dieu ainsi sacrifié paraissait, peut-être à cause des tabous dont il était chargé, emporter avec lui la maladie, la mort, le péché et jouait le rôle de victime expiatoire, de bouc émissaire. Mais, bien que l’idée d’expulsion fût remarquée dans ces sacrifices, l’expiation paraissait encore sortir de la communion. M. Frazer s’est plutôt proposé de compléter la théorie de Smith que de la discuter.

Le grand défaut de ce système est de vouloir ramener les formes si multiples du sacrifice à l’unité d’un principe arbitrairement choisi. D’abord, l’universalité du totémisme, point de départ de toute la théorie, est un postulat. Le totémisme n’apparaît à l’état pur que dans des nations peu nombreuses de l’Australie et de l’Amérique. Le mettre à l’origine de tous les cultes thériomorphiques, c’est faire une hypothèse, peut-être inutile, et qu’il est, en tous cas, impossible de vérifier. Surtout, il est malaisé de trouver des sacrifices proprement totémiques. M. Frazer a lui-même reconnu que, souvent, la victime était celle d’un sacrifice agraire. Dans d’autres cas, les prétendus totems sont les représentants d’une espèce animale dont dépend la vie de la tribu, que cette espèce soit domestiquée, qu’elle soit le gibier préféré ou qu’elle soit, au contraire, particulièrement redoutée. À tout le moins, une description minutieuse d’un certain

  1. Mannhardt, Wald- und Feldkulte, 2 vol., Berlin, 1875 ; id., Mythologische Forschungen, Strasbourg, 1884.