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des religions. — Ce que nous nions, c’est qu’il y ait dans ces sentiments quoi que ce soit de sui generis. Il n’y entre pas autre chose que ce que la psychologie ordinaire appelle simplement, amour et haine, peur et confiance, joie et tristesse, inquiétude, audace, etc. Il n’y a pas de sentiments religieux, mais des sentiments normaux dont la religion, choses, rites, représentations comprises, est produit et objet[1]. On n’a pas plus à parler de sentiments religieux, que de sentiments économiques, ou de sentiments techniques. À chaque activité sociale correspondent des passions et des sentiments normaux[2]. Il est donc inutile d’adapter à chaque chapitre de sociologie un chapitre de psychologie qui consisterait en variations sur le même thème.

Ces lignes ne s’adressent point aux psychologues qui font ce que l’on appelle couramment de la psychologie religieuse. Ils ont commencé avec succès ce travail de classement des idées, des sentiments, des faits de formation et de transformation du caractère, des états psychologiques normaux et anormaux qui se présentent dans la religion. L’intérêt de ces travaux est réel, mais ils éclairent plutôt les façons dont agissent, dans l’individu, et par rapport à son caractère, les traditions religieuses. Ces auteurs ont apporté plus à la psychologie qu’à nos études. Aussi nous nous demandons pourquoi ils choisissent quelquefois cette rubrique de psychologie religieuse[3].

Pour ce qui est des théologiens ou de philosophes imprégnés de théologie comme M. W. James, nous ne nous étonnons pas qu’ils nous parlent des sentiments reli-

  1. Ribot, Psychologie des sentiments.
  2. Ribot, Essai sur les Passions, 1908. L’analyse de M. Ribot a précisément, à notre avis, pour principal résultat de démontrer que la cause des passions est dans une relation entre le caractère de l’individu et certains buts que la société lui propose.
  3. Nous faisons allusion aux meilleurs travaux de ce genre, ceux de MM. Coe, Starbuck, Leuba en Amérique, Delacroix en France. Les principaux résultats acquis éclairent les phénomènes de la conversion, des émotions et de leur effet, du mysticisme.