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D’abord il ne faut pas creuser entre l’idée générale et l’idée d’une personne une espèce d’abîme. Le personnel ne se conçoit que par rapport à l’impersonnel. L’individu ne se distingue que dans un clan. Il est représenté comme une parcelle du sang qui coule dans tout son clan, les animaux de son totem compris. Il n’y a pas de langage ni de pensée sans une certaine part de généralisation et d’abstraction. Supposer que l’esprit humain n’ait été peuplé à ses débuts que de notions purement individuelles est une hypothèse gratuite, invraisemblable et invérifiable.

Les notions primitives dont celle de mana est le type ne sont d’ailleurs pas si abstraites qu’on le dit. Leur contenu concret est au contraire très abondant. Elles coordonnent une foule de représentations : des qualités, des objets, des sensations, des émotions, des désirs, des besoins, des volitions. Leur élaboration ne demandait pas un grand travail intellectuel. Ce sont des synthèses opérées presque spontanément par des esprits brumeux.

Mais, entendons-nous bien. Il n’y a pas eu un moment où la magie et la religion n’auraient comporté que l’idée impersonnelle de mana, et, plus tard, un autre moment où seraient nées les idées personnelles de dieu, d’esprit, de revenant, de double. Nous pensons simplement que l’idée générale, est la condition logique et chronologique des idées mythiques, de même que les temps marqués d’un rythme sont les conditions du rythme, lequel comporte des temps faibles. Dans certains cas la notion générale de mana se présente sous sa forme impersonnelle intégrale ; dans d’autres il se spécialise, mais reste quelque chose de général : puissance du vouloir, danger du mauvais œil, efficace de la voix ; dans d’autres cas enfin, pour entrer dans la pratique, il revêt immédiatement des formes concrètes et individuelles : il devient totem, astre, souffle, herbe, homme, magicien, chose, esprit. Le fond reste identique, mais la métamorphose n’en est pas moins naturelle et fatale. De la majeure qu’est le mana se déduit par une