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multiples de l’individu avec ses semblables, passés, présents, futurs, et avec les choses[1]. Ce sont des mana spécialisés que la société attribue à l’individu en raison de ses parentés, de ses initiations, de ses associations avec des morts, avec des météores, des cailloux, des arbres, des astres, des animaux, etc.

Mais admettons que, par une miraculeuse aperception primitive, la notion d’âme soit immédiatement donnée dans la conscience et immédiatement objectivée au dehors ; il reste à expliquer que les âmes puissent et doivent être les seuls agents des rites[2], et que leur représentation soit la raison d’être des rites. Les animistes nous font faire un nouveau saut au passage de la notion d’âme à la notion d’âme puissante. Admettons à la rigueur que l’expérience donne la notion d’âme, quelle expérience donnera la notion de puissance ? Si l’on nous dit que l’âme est naturellement conçue comme active, nous répondrons qu’elle est tout aussi bien conçue comme passive. Dans la notion d’âme ne sont pas données à la fois les qualités de spirituel et de puissant ; au contraire, elles sont données ensemble, par une synthèse naturelle, dans la notion de mana. Or, il fallait avoir la notion du puissant joint au spirituel pour avoir la notion d’une âme active. Il faut avoir l’idée d’une qualité pour en faire un attribut[3]. Nous avons donc de bonnes raisons pour mettre la notion de mana avant celle d’esprit.

Mais, nous dira-t-on, mettant ainsi le prédicat avant le sujet, le mana avant l’âme, vous renversez l’ordre psychologique des faits. Vous mettez l’impersonnel avant le personnel. Sans contredit.

  1. H. Hubert, Introduction à la traduction française de l’Histoire des Religions, de Chantepie de la Saussaye, p. xxxiii-xxxv.
  2. Cf. Jevons, The definition of Magic, l. l., p. 15.
  3. H. Höffding, o. l., p. 172 sqq. Le concept de Dieu, la catégorie de religion, sont soumis à la même règle que les autres concepts et catégories ; ils doivent servir de prédicat avant de figurer comme sujet.