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III

LE PROBLÈME DE LA RAISON

En procédant ainsi, nous déplaçons le foyer de nos investigations sociologiques. Passant de la considération des phénomènes religieux, en tant qu’ils se développent hors de l’analyse des formes qu’ils prennent dans la conscience, nous avons eu l’occasion de poursuivre des études que nous avions déjà commencées avec et après M. Durkheim sur les origines de l’entendement.

Les opérations mentales de la magie ne se réduisent pas au raisonnement analogique ni à des applications confuses du principe de causalité. Elles comportent des jugements véritables et des raisonnements conscients[1].

Ces jugements sont de ceux qu’on appelle jugements de valeur, c’est-à-dire qu’ils sont affectifs. Ils sont dominés par des désirs, des craintes, des espérances, etc., des sentiments, en un mot. De même, les raisonnements se développent sur une trame de sentiments transférés, contrastés, etc. et non pas comme le veulent les anthropologues anglais, imbus d’associationisme, suivant les lois de la contiguïté et de la ressemblance.

Mais les psychologues isolent habituellement les jugements de valeur, qu’ils rattachent à la sensibilité, des jugements proprement dits, qu’ils rattachent à l’intelligence, ou ils ne signalent entre eux que des liens accidentels[2]. La logique rationnelle se trouve ainsi radicalement opposée à celle des sentiments. Au contraire quand on étudie ces deux

  1. La critique que nous avons faite à cet égard de la théorie courante a été, croyons-nous, décisive. C’est ainsi que M. Wundt l’a reproduite, sans le savoir. Völkerpsychologie, IIMythus und Religion, II, p. 177 sq.
  2. Nous sommes naturellement loin de penser que ceux qu’ils ont aperçus, ceux que M. Ribot a signalés dans sa Logique des Sentiments, n’existent pas.