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bat[1] en fournit un exemple typique. On connaît la période annuelle d’impuissance qui immobilisait les guerriers de l’Ulster[2]. Concentrées sur quelques points du calendrier ces interdictions, en vertu du fait, déjà connu, que le sacré est éminemment déplaçable, d’autre part en raison des rapports étroits qui unissent les dates en question avec les durées qui les suivent, peuvent être considérées comme rachetant ces mêmes durées d’un interdit qui les frapperait également[3] : d’où il suit que celles-ci nous paraissent à leur tour investies d’un des caractères essentiels du sacré. En poursuivant ce raisonnement, on arriverait à la notion d’un temps essentiellement religieux, dangereux et grave, qui resterait impropre à l’action, si l’interdit, qui affecte sa totalité, ne pouvait être levé momentanément et distribué intégralement sur quelques-unes de ses parties. Cette notion serait la représentation presque concrète d’une durée pure, existant en soi et tout à fait objective, au moins en ce qui concerne les actes humains, puisque le rythme de son écoulement ne serait pas marqué par leur succession, d’ailleurs non moins inerte, immobile et endormie que l’homme dont elle emprisonnerait l’engourdissement craintif : véritable éternité où, seule, la nécessité d’agir pour vivre engendrerait le temps, en y découpant des éternités successives, images rétrécies, mais substituts parfaits de la plus grande éternité.

Somme toute, les jours qualifiés sont des fêtes, et c’est peut-être parce qu’il n’y a pas de jour qui ne soit qualifié à quelque titre que, en latin, feria a fini par désigné chacun des jours de la semaine. En tout cas, les dates cri-

  1. Le sabbat est proprement, comme l’étymologie du mot l’indique, une fin de période, cf. Fr. Bohn, o. l., p. 2.
  2. E. Hull, Old Irish Tabus, or Geasa, Folk-Lore, 1908, p. 58. Cf. G. Pinza, La conservazione delle teste umane e le idee e costumi coi quali si connette, p. 78 ; cf. Archiv für Religionswissenschaft, 1904, VII, p. 459.
  3. Cf. Année sociologique, t. II, p. 266. Cf. Lagrange, Études sur les religions sémitiques, 2e édit., p. 284.