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tionnaire de la société, souvent institué par elle, et qui ne trouve jamais en lui-même la source de son propre pouvoir. On nous a reproché d’avoir étendu indûment ce que nous avions dit des corporations de magiciens[1]. Mais en réalité les magiciens isolés sont reliés par les traditions magiques et forment des associations.

En ce qui concerne les rites et les représentations, le magicien n’invente pas à chaque coup. La tradition qu’il observe est garante de l’efficace des gestes et de l’autorité des idées. Or qui dit tradition dit société. En second lieu, si la magie n’est pas publique comme les sacrifices, la société n’y est pas moins présente. Si le magicien se retire, se cache, c’est de la société ; et si celle-ci le repousse, c’est qu’il ne lui est pas indifférent. Elle n’a peur des magiciens qu’en raison des pouvoirs qu’elle lui prête et il n’agit contre elle qu’armé par elle.

Enfin, ces pouvoirs, ces qualités ont tous un même caractère, procèdent tous d’une même idée générale. Cette notion, nous lui avons donné le nom de mana emprunté aux langues malayo-polynésiennes, mais par lequel elle est désignée dans la magie mélanésienne, où M. Codrington[2] a révélé son existence. Elle est à la fois celle d’un pouvoir, celle d’une cause, d’une force, celle d’une qualité et d’une substance, celle d’un milieu. Le mot mana est à la fois substantif, adjectif, verbe, désigne des attributs, des actions, des natures, des choses. Il s’applique aux rites, aux acteurs, aux matières, aux esprits de la magie, aussi bien qu’à ceux de la religion.

Il en résulte que les rites et les représentations magiques ont le même caractère social que le sacrifice et qu’ils dépendent d’une notion identique ou analogue à la notion de sacré. De plus nous avons commencé à montrer qu’il y a des cérémonies magiques où se produisent des phéno-

  1. Cf. H. Berr, Les Progrès de la Sociologie religieuse, Revue de synthèse historique, t. XII, 1906, p. 34.
  2. Codrington, The Melanesians, 1890.