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qui sacrifie elle-même et pour elle-même, elle est représentée à l’office par ses prêtres, souvent aussi par une assistance nombreuse et qui n’est point passive. Même quand le sacrifice est fait par un individu et pour lui-même, la société y est toujours présente, au moins en esprit, puisque c’est d’elle qu’il se sépare pour y rentrer ; c’est elle aussi qui a déterminé la victime, donné les moyens de la consacrer, nommé, choisi et convoqué les dieux. Sur le terrain du sacrifice la société entoure le fidèle de son assistance morale, c’est elle qui lui donne sa foi, la confiance qui l’anime dans la valeur de ses actes. Si on croit au sacrifice, s’il est efficace, c’est qu’il est un acte social.

Enfin, dernière conclusion : tout ce qui concourt au sacrifice est investi d’une même qualité, celle d’être sacré ; de la notion de sacré, procèdent, sans exception, toutes les représentations et toutes les pratiques du sacrifice, avec les sentiments qui les fondent. Le sacrifice est un moyen pour le profane de communiquer avec le sacré par l’intermédiaire d’une victime.

Qu’est-ce donc que le sacré ? Avec Robertson Smith, nous l’avons conçu sous la forme du séparé, de l’interdit. Il nous paraissait évident que la prohibition d’une chose pour un groupe n’est pas simplement l’effet des scrupules accumulés d’individus. Aussi bien disions-nous que les choses sacrées sont choses sociales. Même nous allons maintenant plus loin. À notre avis est conçu comme sacré tout ce qui, pour le groupe et ses membres, qualifie la société. Si les dieux chacun à leur heure sortent du temple et deviennent profanes nous voyons par contre des choses humaines, mais sociales, la patrie, la propriété, le travail, la personne humaine y entrer l’une après l’autre.

La description, donnée par Robertson Smith, du sacré, qui nous suffisait pour analyser le sacrifice, nous parut donc, notre travail achevé, non pas inexacte, mais insuffisante. Derrière les idées de séparation, de pureté, d’impu-