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sévères comme celles qui règlent l’adultère ; tandis que les autres craignent de se laisser aller à aucune privauté à son égard[1].

Mais les observances dont le magicien se constitue l’esclave montrent encore mieux que s’il se dit hors du commun, c’est qu’il a en réalité la même conviction que ses sectateurs. Il se sent lui-même différent, et ne mène pas la même vie, autant par besoin d’en imposer aux autres que parce qu’il s’en impose à lui-même[2], et surtout parce qu’il craint de perdre les qualités extraordinairement fugitives qu’il a acquises.

Il y a — nous le savons dès que nous disposons d’informations suffisantes — immédiatement après la révélation ou après la tradition magiques, un espace de temps rempli d’observances plus particulières. Cela nous est attesté chez les Arunta[3], pour l’une comme pour l’autre des façons de devenir magicien. L’initié par les magiciens doit rester au camp des hommes, laisser ses blessures se cicatriser d’une certaine façon, sans quoi les pierres atnongara fuiraient. Pendant près d’un mois, où il se remet du terrible traitement subi, il ne cause à aucune femme ; ses mères[4], femmes et sœurs aînées lui envoient indirectement de la nourriture. Ce n’est qu’ensuite qu’il peut se rendre à son camp ; là encore il est soumis à des règles de silence et d’abstinence. La nuit, il dort en mettant un feu entre lui et sa femme. Ce feu le rend visible à l’Oruncha, à l’esprit, devenu le sien, du magicien qui l’a initié, et montre à cet esprit qu’il s’abstient même de sa femme. « S’il manquait à ces

  1. Brough Smyth, Abor. of Vict., I, p. 466, 467. [Renseignements de M. Howitt (?) sur les Barkinji (?)] ; M. Roth, Superst., p. 30, cf. Ethn. Stud., p. 153, surtout exact pour les indigènes de la rivière Tully ; MM. Spencer et Gillen, N. T. C., p. 487, à propos des magiciens Warramunga. Il n’y a pas contradiction entre ces faits et les documents qui disent que rien [d’extérieur] ne distingue le magicien.
  2. Cf. une curieuse anecdote : Dawson, Austr. Abor., p. 56. Interdiction de mentir.
  3. N. T., p. 520, p. 529. Kaitish et Unmatjera, N. T. C., p. 481.
  4. Nous sommes ici en pays de parenté par groupes.