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C’est à tort, selon nous, que M. Mathew pense avoir retrouvé exactement, chez les Kabi du Queensland qu’il évangélisa, la notion Fijienne (id est mélanéso-polynésienne ) de mana[1]. Car il réduit en somme la notion de mana à celle d’émanation, d’influence magique à distance, et ainsi la défigure. Ce qui est exact, c’est que chez ces mêmes Kabi, M. Mathew nous décèle l’existence d’une notion double : d’une part celle de pouvoir magique pur, la vie particulièrement intense du magicien[2] et, de l’autre, celle des substances magiques, les pierres (dhakke, Nanpai ou nganpai, kundir) où se concrétisent les forces de l’arc-en-ciel[3].

Chez les Arunta, la seule tribu connue à peu près à fond, nous trouvons la même notion fragmentée en deux parties au moins. Il y a d’abord l’idée d’arungquiltha, qui est spécialement la puissance qui émane des rites, des substances et des choses, plus ou moins sacrées, à efficacité mauvaise, qui s’en échappe sous la forme d’un fluide ou d’un petit

    [boylya ?] quartz). Mais ce que disent Forrest, On the natives of Central and Western Australia, J. A. I., 1876, voir p. 318 ; P. Chauncy (tribu de Port-Jackson) in Brough Smyth, Aborigines of Victoria, II, p. 276 ; M. A. Fraser, Western Australia Year Book for 1896-1897, Perth, Gov ; Printer, 1898, p. 315, nous semble constituer tout au plus des vérifications des assertions de Grey ; de même pour Science of Man, Australian Anthropological Journal, I, p. 15.

  1. La première façon dont M. Mathew avait signalé ce rapprochement était la juste, il avait dit : The Australian Aborigines, J. a. Pr. R. Soc. N. S. Wale, 1899, XXXIII, 2, « a sort of mana superstition » ; la seconde façon se trouve dans son livre récent, Eaglehawk and Crow, a study, etc., 1899, p. 144, où il cite à propos du mana fijien un article de Fison, Centennial Magazine (?), 1889, p. 457, que nous n’avons pu comparer au texte de M. Mathew.
  2. « ManNur means full-of-life… A manNur, magician or life man, is sometimes called muru-muru, that is full of life. », Mathew, Kabi in Curr, The Austr. Race, II, p. 178 ; cf. ibid., p. 177 (charmed life [du] manNur), cf. ibid., p. 189 (comme adjectif ce mot signifie « enchanté et donnant de la vie »). Cf. Eaglehawk and Crow, p. 143, 146 (vitalité) : cf. le texte cité in Curr, Austr. Race, II, p. 192, fin de l’histoire des pierres de Kundangur, et commencement de l’histoire suivante.
  3. Voir plus bas, p. 36 et suiv. ; il y a d’ailleurs une curieuse relation entre le nombre des pierres magiques contenues dans le corps du magicien et la grandeur de son pouvoir. Mathew in Curr, II, p. 176 ; cf. Eaglehawk and Crow, p. 143.