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Non, sans doute, que la société ait besoin des choses qui sont la matière du sacrifice ; tout se passe ici dans le monde des idées, et c’est d’énergies mentales et morales qu’il est question. Mais l’acte d’abnégation qui est impliqué dans tout sacrifice, en rappelant fréquemment aux consciences particulières la présence des forces collectives, entretient précisément leur existence idéale. Ces expiations et ces purifications générales, ces communions, ces sacralisations de groupes, ces créations de génies des villes donnent ou renouvellent périodiquement à la collectivité, représentée par ses dieux, ce caractère bon, fort, grave, terrible, qui est un des traits essentiels de toute personnalité sociale. — D’autre part, les individus trouvent à ce même acte leur avantage. Ils se confèrent, à eux et aux choses qui leur tiennent de près, la force sociale tout entière. Ils revêtent d’une autorité sociale leurs vœux, leurs serments, leurs mariages. Ils entourent, comme d’un cercle de sainteté qui les protège, les champs qu’ils ont labourés, les maisons qu’ils ont construites. En même temps, ils trouvent dans le sacrifice le moyen de rétablir les équilibres troublés : par l’expiation, ils se rachètent de la malédiction sociale, conséquence de la faute, et rentrent dans la communauté ; par les prélèvements qu’ils font sur les choses dont la société a réservé l’usage, ils acquièrent le droit d’en jouir. La norme sociale est donc maintenue sans danger pour eux, sans diminution pour le groupe. Ainsi la fonction sociale du sacrifice est remplie, tant pour les individus que pour la collectivité. Et comme la société est faite non seulement d’hommes, mais de choses et d’événements, on entrevoit comment le sacrifice peut suivre et reproduire à la fois le rythme de la vie humaine et celui de la nature ; comment il a pu devenir périodique à l’usage des phénomènes naturels, occasionnel comme les besoins momentanés des hommes, se plier enfin à mille fonctions.

Au reste, on a pu voir, chemin faisant, combien de croyances et de pratiques sociales, qui ne sont pas propre-