Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fiant qui a posé les feux ne peut manger de viande qu’après avoir fait un tel sacrifice. C’est enfin un sacrifice de rachat ; car le sacrifiant est consacré, il est sous la prise de la divinité et il se rachète en se substituant la victime. Tout se mêle et se confond dans une même opération qui, malgré cette diversité, ne laisse pas d’être harmonique. À plus forte raison en est-il ainsi d’un rite, dont l’étendue est immense, comme le sacrifice à Soma, où nous avons, outre tout ce qui précède, un cas réalisé de sacrifice du dieu. En un mot, de même que la cérémonie magique, de même que la prière, qui peut servir à la fois à une action de grâces, à un vœu, à une propitiation, le sacrifice peut remplir concurremment une grande variété de fonctions.

Mais si le sacrifice est si complexe, d’où peut lui venir son unité ? C’est qu’au fond, sous la diversité des formes qu’il revêt, il est toujours fait d’un même procédé qui peut être employé pour les buts les plus différents. Ce procédé consiste à établir une communication entre le monde sacré et le monde profane par l’intermédiaire d’une victime, c’est-à-dire d’une chose consacrée détruite au cours de la cérémonie. Or, contrairement à ce que croyait Smith, la victime n’arrive pas nécessairement au sacrifice avec une nature religieuse, achevée et définie ; c’est le sacrifice lui-même qui la lui confère. Il peut donc lui donner les vertus les plus diverses et, ainsi, la rendre apte à remplir les fonctions les plus variées, soit dans des rites différents, soit pendant un même rite. Elle peut également transmettre un caractère sacré du monde religieux au monde profane ou inversement ; elle est indifférente au sens du courant qui la traverse. On peut, en même temps, charger l’esprit qui s’est dégagé d’elle de porter un vœu jusqu’aux puissances célestes, se servir d’elle pour deviner l’avenir, se racheter de la colère divine en faisant aux dieux leurs parts, et enfin, jouir des chairs sacrées qui restent. D’un autre côté, une fois qu’elle est constituée, elle a, quoi qu’on fasse, une certaine autonomie ; c’est un foyer d’énergie d’où se déga-