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un véritable sacrifice du dieu. Nous ne pouvons exposer ici comment Soma dieu se confond avec la plante soma, comment il y est réellement présent, ni décrire les cérémonies au milieu desquelles on l’amène et on le reçoit sur le lieu du sacrifice. On le porte sur un pavois, on l’adore, puis on le presse et on le tue. Alors, de ces branches pressurées, le dieu se dégage et se répand dans le monde ; une série d’attributions distinctes le communiquent aux différents règnes de la nature. Cette présence réelle, cette naissance du dieu, succédant à sa mort, sont, en quelque sorte, les formes rituelles du mythe. Quant aux formes purement mythiques qu’a revêtues ce sacrifice, elles sont bien celles que nous avons décrites plus haut. C’est d’abord l’identification du dieu Soma avec l’ennemi des dieux, Vṛtra, le démon qui retient les trésors d’immortalité et qu’Indra tue[1]. Car pour s’expliquer comment un dieu pouvait être tué, on se l’est représenté sous les espèces d’un démon ; c’est le démon qui est mis à mort ; de lui sort le dieu ; de l’enveloppe mauvaise qui la retenait, se dégage l’essence excellente. Mais, d’un autre côté, c’est bien souvent Soma qui tue Vṛtra ; en tout cas, c’est lui qui donne des forces à Indra, le dieu guerrier, destructeur des démons. Même dans certains textes, c’est Soma, qui est son propre sacrificateur ; on va jusqu’à le représenter comme le type des sacrificateurs célestes. De là au suicide du dieu la dis-

    brandt, Ved. Mythologie, I (exposé succinct du rite lui-même, p. 146 sqq.) — Sur Soma dans les Brâhmaṇas, voir S. Lévi, Doctrine, p. 169. — Le soma, plante annuelle, sacrifiée au printemps, cf. plus haut, p. 19, n. 1, nous semble avoir surtout servi originairement à un rite agraire (v. Bergaigne, Rel. Véd., III, p. 8 et 9, n. 1) ; il est le « roi des plantes » dès le Ṛg veda, et l’Inde brahmanique a plutôt développé ce thème : v. Hillebrandt, Ved. Myth., p. 390. — Une étude complète du sacrifice du soma n’est pas faite encore, on comprend dès lors que nous n’ayons tenté de rien appuyer par des textes, la matière étant ici infinie. — Quant aux interprétations naturalistes du mythe de Soma, nous ne pouvons les discuter toutes, nous les admettons d’ailleurs toutes, ne les trouvant nullement inconciliables.

  1. Lévi, Doctr., p. 162. Bergaigne, Rel. Véd., II, 84, 85 ; 63 n. 1, etc. — Hillebrandt, Ved. Myth., Viçvarûpa, p. 531, etc.