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Mais ici elle est le dieu lui-même et c’est cette identification qui caractérise le sacrifice du dieu.

Mais nous savons que le sacrifice se répète périodiquement parce que le rythme de la nature exige cette périodicité. Le mythe ne fait donc sortir le dieu vivant de l’épreuve que pour l’y soumettre à nouveau et compose ainsi sa vie d’une chaîne ininterrompue de passions et de résurrections. Astarte ressuscite Adonis, Ishtar Tammuz, Isis Osiris, Cybèle Attis et Iolaos Hercule[1]. Dionysos assassiné est conçu une deuxième fois par Sémélé[2]. Nous voilà déjà loin de l’apothéose dont nous avons parlé au début de ce chapitre. Le dieu ne sort plus du sacrifice que pour y rentrer et réciproquement. Il n’y a plus d’interruption dans sa personnalité. S’il est mis en pièces, comme Osiris et Pélops, on retrouve, on rapproche et l’on ranime ses morceaux. Alors, le but primitif du sacrifice est relégué dans l’ombre ; ce n’est plus un sacrifice agraire ni un sacrifice pastoral. Le dieu qui y vient comme victime existe en soi, il a des qualités et des pouvoirs multiples. Il s’ensuit que le sacrifice apparaît comme une répétition et une commémoration du sacrifice originel du dieu[3]. À la légende qui le raconte s’ajoute généralement quelque circonstance qui en assure la perpétuité. Ainsi, quand un dieu meurt d’une mort plus ou moins naturelle, un oracle prescrit un sacrifice expiatoire qui reproduit la mort de ce dieu[4]. Quand un dieu est vainqueur d’un autre, il perpétue le souvenir de sa victoire par l’institution d’un culte[5].

Il faut remarquer ici que l’abstraction qui, dans le sacri-

  1. Cf. Mannhardt, W. F. K., I, p. 358 sq. ; 572 sqq.
  2. Proclus, Hymne à Athena dans Lobeck, Aglaophamus, p. 561 ; Abel, Orphica, p. 235.
  3. Voir plus haut, p. 108 (Karneia) ; voir plus bas, p. 118. Cf. Usener, Göttliche Synonyme in Rhein. Mus., LIII, p. 371.
  4. Voir plus haut, p. 102, n. 3.
  5. Ainsi Héraclès institue le culte d’Athena Αἰγοφάγος après son combat contre Hippocoon (Paus., I, 15, 9) ; — après avoir jeté des bœufs de Géryon dans la source Kyane, il ordonne le renouvellement de son acte (Diod., V, 4, 1, 2).