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divinité est l’œuvre des sacrifices antérieurs. Et ceci n’est pas un fait accidentel et sans portée, puisque, dans une religion aussi métaphysique que le christianisme, la figure de l’agneau pascal, victime habituelle d’un sacrifice agraire ou pastoral, a persisté et sert encore aujourd’hui à désigner le Christ, c’est-à-dire le dieu. Le sacrifice a fourni les éléments de la symbolique divine.

Mais c’est l’imagination des créateurs de mythes qui a parachevé l’élaboration du sacrifice du dieu. En effet, elle a donné d’abord un état civil, une histoire et, partant, une vie plus continue à la personnalité intermittente, terne et passive qui naissait de la périodicité des sacrifices. Sans compter qu’en la dégageant de sa gangue terrestre, elle l’a rendue plus divine. Parfois même, on peut suivre dans le mythe les différentes phases de cette divinisation progressive. Ainsi, la grande fête dorienne des Karneia, célébrée en l’honneur d’Apollon Karnéios, avait été instituée, racontait-on, pour expier le meurtre du devin Karnos tué par l’Héraclide Hippotès[1]. Or, Apollon Karnéios n’est autre que le devin Karnos dont le sacrifice est accompli et expié comme celui des Dipolia ; et Karnos lui-même « le cornu[2] », se confond avec le héros Krios « le bélier[3] », hypostase de la victime animale primitive. Du sacrifice du bélier, la mythologie avait fait le meurtre d’un héros et elle avait ensuite transformé ce dernier en grand dieu national.

Cependant, si la mythologie a élaboré la représentation du divin, elle n’a pas travaillé sur des données arbitraires. Les mythes conservent la trace de leur origine : un sacrifice plus ou moins dénaturé forme l’épisode central et comme le noyau de la vie légendaire des dieux qui sont

  1. Théopompe, fr. 171 (F. H. G., I, p. 307). — Pausan., III, 13, 4. Oinomaos dans Eusèbe, Praep. Ev., V, 20, 3, p. 219. — Cf. Usener, Rh. Mus., LIII, 359 sqq. — Cf. pour une légende du même genre id. ; Rh. Mus., LIII, p. 365 sqq.
  2. Voir Hesych., s. v.
  3. Paus., III, 13, 3, sqq.