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laboureur une part de la chair de la victime[1]. Cette communion, il est vrai, peut paraître inutile puisque le sacrifice préalable a déjà eu pour effet de profaner la terre et les grains. Il semble qu’elle fasse double emploi[2] ; il est possible en effet, que, parfois, elle ait suffi à obtenir l’effet désiré. Mais, en général, elle succède à une désacralisation qui produit déjà une première profanation. C’est ce qui est très sensible dans le rite hindou des Varuṇapraghâsas. L’orge est consacré à Varuṇa[3] ; il est sa nourriture[4]. Les créatures, autrefois, dit le mythe, en mangèrent et devinrent hydropiques. C’est grâce au rite dont nous allons parler qu’elles échappèrent à ce danger[5]. Voici en quoi il consiste. Entre autres offrandes[6], deux prêtres font, avec des grains d’orge, deux figurines qui ont la forme d’un bélier et d’une brebis. Le sacrifiant et sa femme mettent, le premier sur la brebis, l’autre sur le bélier, des touffes de laine qui représentent des seins et des testicules, en aussi grande quantité que possible[7]. Puis on fait le sacri-

  1. Frazer, G. B., II, p. 31.
  2. D’après le texte des paroles de la Pythie, il semble bien que la communion ait été relativement surérogatoire (λῷον ἔσισθαι).
  3. Voir S. Lévi, Doctrine, p. 155, n. 3.
  4. De là le nom du rite, « les nourritures de Varuṇa ».
  5. Ç. B., 2, 5, 2, 1. — Voir S. Lévi, p. 156, n. 1, le texte T. B., 1, 6, 4, 1. n’indigne que ce dernier terme du mythe. — Nous n’étudions qu’un des trois rites qui font partie de la cérémonie : l’un de ces rites est un bain identique au bain de la sortie du sacrifice à soma (voy. plus haut, p. 67), l’autre est une confession de la femme, de tout point comparable à l’épreuve lévitique de la femme adultère. Toute la fête a ainsi un caractère purificatoire bien marqué (voy. plus haut, p. 95, n. 1 et 3).
  6. Toutes faites d’orge ; exceptionnellement quelques-unes peuvent être faites de riz : Âp. çr. sû., VIII, 5, 35.
  7. Âp., VIII, 5, 42 ; 6, 1 sqq. ; 10 sqq. — Évidemment ces deux images représentent l’esprit de l’orge, considéré comme fécondant et fécondé (cf. T. B., 1, 6, 6, 4, sur la copulation figurée de ces deux animaux, par laquelle les créatures se délient du lien de Varuṇa), mais il n’y a pas de texte bien net sur ce point ; quoique le rite ait bien en lui-même le sens d’une création magique de l’esprit de l’orge (cf. Ç. B., 2, 5, 2, 16 où il est dit que le bélier c’est « Varuṇa visible » et où il s’agit du bélier figuré et non pas d’un bélier quelconque comme le croit M. Lévi, Doctrine, p. 155, n. 4), les textes ne dégagent pas assez cette signification pour que nous puissions la développer.