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ne s’est dégagée de la précédente qu’à la suite d’une élaboration philosophique et, de plus, la conception d’une autre vie n’a pas pour origine l’institution du sacrifice[1].

Le nombre, la variété et la complexité des sacrifices objectifs sont tels que nous ne pouvons en traiter qu’assez sommairement. Sauf pour le sacrifice agraire dont l’étude est dès maintenant assez avancée, nous devrons nous contenter d’indications générales qui montrent comment ces sacrifices se rattachent à notre schème général.

Le trait caractéristique des sacrifices objectifs est que l’effet principal du rite porte, par définition, sur un objet autre que le sacrifiant. En effet, le sacrifice ne revient pas à son point de départ ; les choses qu’il a pour but de modifier sont en dehors du sacrifiant. L’effet produit sur ce dernier est donc secondaire. Par suite, les rites d’entrée et de sortie, qui ont particulièrement en vue le sacrifiant, deviennent rudimentaires. C’est la phase centrale, la sacrification, qui tend à prendre le plus de place. Il s’agit avant tout de créer de l’esprit[2], soit qu’on le crée pour l’attribuer à l’être réel ou mythique que le sacrifice concerne, soit que, pour libérer une chose de quelque vertu sacrée

  1. Ce serait ici le lieu d’étudier le côté pour ainsi dire politique du sacrifice : dans un bon nombre de sociétés politico-religieuses (sociétés secrètes mélanésiennes et guinéennes, brahmanisme, etc.), la hiérarchie sociale est souvent déterminée par les qualités acquises au cours de sacrifices par chaque individu. — Il conviendrait aussi de considérer les cas où c’est le groupe (famille, corporation, société, etc.), qui est sacrifiant, et de voir quels sont les effets produits sur une personne de ce genre par le sacrifice. On verrait aisément que tous ces sacrifices de sacralisation ou de désacralisation ont sur la société, toutes choses égales d’ailleurs, les mêmes effets que sur l’individu. Mais la question ressort plutôt à la sociologie en général qu’à l’étude précise du sacrifice. D’ailleurs elle a été fortement étudiée par les anthropologues anglais : les effets de la communion sacrificielle sur la société sont un de leurs thèmes favoris (voir R. Smith, Rel. of Sem., p. 284 sqq., Sidney Hartland, Leg. Pers., II, ch. xi, etc.).
  2. M. Grant Allen a, dans la deuxième partie de son livre, The Evolution of the Idea of God (compte rendu, Ann., I, p. 193), soutenu des idées concernant ces sacrifices et les sacrifices du Dieu, qui paraîtront peut-être relativement analogues aux nôtres (voir surtout p. 265, 266, 339, 340 sqq.). Nous espérons pourtant qu’on s’apercevra des différences fondamentales.