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au dieu Rudra. Rudra est le maître des animaux, celui qui peut les détruire, eux et les hommes, par la peste ou la fièvre. Il est donc le dieu dangereux[1]. Or, dieu du bétail, il existe dans le troupeau, en même temps qu’il l’entoure et le menace. Pour l’en écarter, on le concentre sur le plus beau des taureaux du troupeau. Ce taureau devient Rudra lui-même ; on l’élève, on le sacre comme tel, on lui rend hommage[2]. Puis, au moins d’après certaines écoles, on le sacrifie hors du village, à minuit, au milieu des bois[3] ; de cette manière, Rudra est éliminé[4]. Le Rudra des bêtes est allé rejoindre le Rudra des bois, des champs et des carrefours. C’est donc bien à expulser un élément divin que le sacrifice a tendu et réussi.

Dans tous ces cas, le caractère sacré dont le sacrifice opère la transmission va non pas de la victime au sacrifiant[5], mais, au contraire, du sacrifiant sur la victime. C’est sur elle qu’il se débarrasse. Aussi est-ce avant l’immolation et non après qu’a lieu leur mise en contact, celle du moins

    II, 38 ; VII, 46, sont, tant par les sûtras que par Sâyana, consacrés à ce rite auxquels ils s’appliquent remarquablement.

  1. Sur Rudra, voir surtout Oldenberg, Rel. d. Ved., 216-224 ; 283 sqq. : 333 sqq. Cf. Barth, M. Oldenberg et la Relig. du Veda, Journal des savants, 1896. Siecke, Der Gott Rudra, etc. Archiv. f. Religionswiss., 1, 3 et 4 (d’un naturalisme intempérant). Bergaigne, Rel. Véd., III, 31 sqq., 152-154. Lévi, Doctr., p. 167 (Ait. Br., 13, 9, 1). Il nous est impossible d’exposer ici les raisons de notre explication de la personnalité mythique de Rudra.
  2. C’est le point sur lequel toutes les écoles s’accordent : on lui fait flairer des offrandes (cf. Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 82 : la façon dont on fait respirer les offrandes au cheval divinisé de l’açvamedha ; cf. encore Kâty. çr. sû., 14, 3, 10) ; on l’appelle de toute la série des noms de Rudra : « ôm (syllabe magique) à Bhava, ôm à Çarva etc. » Cf. A. V., IV, 28 ; on récite les textes à Rudra : T. S., 4, 5, 1, sqq. Voir Mantrapâtha, Âpastamba, édit. Winternitz, II, 18, 10 sqq.
  3. Suivant Pâraskâra.
  4. On ne peut rien ramener de la bête au village « parce que le dieu cherche à tuer les hommes ». Les parents ne pouvaient s’approcher de la place du sacrifice, ni manger sans ordre et invitation spéciale la chair de la victime : Âçv., 4, 8, 31 et 33 (voir Oldenberg, S. B. E., XXIX. p. 258).
  5. Pour la simplicité de l’exposition nous sous-entendons partout que la même chose peut se répéter, dans les mêmes termes, des objets.