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homme est affligé d’un mauvais sort. On emploie une série de rites dont les uns sont purement symboliques[1], mais dont les autres se rapprochent du sacrifice : On lie à la patte gauche « d’un coq noir[2] » un « crochet », au crochet on attache un gâteau et on dit en lâchant l’oiseau[3] : « Vole d’ici, ô mauvais sort[4], détruis-toi d’ici ; envole-toi ailleurs ; sur celui qui nous hait, avec ce crochet de fer, nous te lions[5]. » La tare du sacrifiant s’est fixée sur l’oiseau et a disparu avec lui, soit qu’elle se détruise, soit qu’elle retombe sur l’ennemi[6].

Mais il y a un cas en particulier où l’on voit clairement que le caractère ainsi éliminé est essentiellement religieux : c’est celui du « taureau à la broche[7] », victime expiatoire

  1. Sur ces rites, voir Bloomfield, Op. cit., introd. à VII, 116, et Winternitz, Altind. Hochzeitsrituell, Abhdl. d. k. k. Ak. d. Wiss. z. Wien, XL, p. 6, 12, 23, 67. Kauç. sû., 18, 17, 16.
  2. Nous traduisons littéralement. M. Bloomfield et le commentaire expliquent (ad loc.) par le mot corbeau.
  3. A. V., VII, 115, 1.
  4. Lakṣmî, « marque » de malheur, empreinte de la déesse Nirṛti (de la destruction). Cette marque correspond et à la couleur noire du corbeau et au petit gâteau qu’on lui lie à la patte.
  5. Le rejet des mauvais sorts sur l’ennemi est un thème constant du rituel védique, atharvanique et autre.
  6. Cf. Kauç. sû., 32, 17.
  7. Sur ce rite voir Oldenberg, Rel. d. Ved., p. 82, p. 446, n. 1, et surtout Hillebrandt, Rit. Litt., p. 83. Le rite fait partie du rituel domestique. Les textes sont : Âçv. gṛh. sû., 4, 8 ; Pâr., 3, 8 : Hiraṇ., 2, 8, 9 ; Âp. gṛh. sû., 19, 13 sqq. ; 201-19. Le texte d’Âçv. semble attribuer à ce rite le sens d’un rite de prospérité (4, 8, 35 ; Pâr., 3, 8, 2). Mais les caractères du rite sont bien nets et le commentaire à Hiraṇ., 2, 9, 7 (édit. Kirate, p. 133) y voit une çânti à Rudra, dieu des bêtes, une « façon d’apaiser » le dieu à l’aide d’une victime qui serait « la broche des vaches ». Cf. Oldenberg, trad. d’Hiraṇ., S. B. E., XXX, p. 220. M. Oldenberg voit surtout dans ce rite un cas de Thierfetichismus. C’est qu’il s’attache surtout à décrire le point remarquable du rite qui est l’incorporation du dieu dans la victime. — Le rite ne nous est parvenu qu’à travers des textes assez récents, présentant des divergences importantes. Nous ne pouvons exposer ici l’analyse historique des textes. Le résultat auquel nous arrivons est qu’il y a eu là trois rites plus ou moins hétérogènes, qui ont fusionné plus ou moins, deux à deux, ou tous ensemble suivant les écoles et les clans brahmaniques. Nous exposons surtout le rite des clans des Âtreyas (Âçv., Pâr.). En tous cas le rite est fort ancien et les hymnes du Ṛg Veda à Rudra, V, 43 ; I, 114 ;