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Nous avons indiqué dans l’introduction de notre Essai sur le sacrifice de quelle façon notre théorie se rattache à celle de Robertson Smith. Tout ce qu’il a dit du sacré, du tabou, du pur et de l’impur, nous l’avons mis à profit. Mais nous avons repoussé son explication généalogique des sacrifices. Il les faisait, comme on sait, dériver tous de la communion totémique, c’est-à-dire d’une sorte de sacrement où les membres d’un clan totémique communient entre eux et avec leur totem en mangeant ce dernier : tels les Arabes de saint Nil mettant en pièces et dévorant le chameau[1]. À première vue, nous observions que le sacrifice ne se pratiquait que là où le totémisme n’existait pas ou n’existait plus. Nous estimions donc hasardeux d’établir un lien de cause à effet entre des phénomènes que nous ne trouvions jamais associés.

Nous devons aujourd’hui apporter quelques rectifications à ce que nous avons écrit alors du totémisme et du sacrement totémique. Les réserves que nous avons formulées à cet égard n’ont rien de commun avec l’horreur que ce mot a éveillée chez certains esprits[2]. Nous ne connaissions en 1898, de totémisme véritable qu’en Australie et dans l’Amérique du Nord. Depuis lors, les ethnographes ont multiplié les preuves de son existence et les raisons de croire à sa généralité.

  1. Rob. Smith, Religion of Semites, p. 281 sq., 338 sq.
  2. J. Toutain, L’Histoire des religions et le Totémisme, à propos d’un livre récent, Revue de l’Histoire des Religions, 1908, t. LVII, p. 331. Le livre récent est celui de M. Renel, Cultes militaires de Rome : les Enseignes, 1903. M. Toutain le rajeunit en l’appariant aux volumes de mélanges, publiés par M. S. Reinach, sous le titre de Cultes, Mythes et Religions, à partir de 1905. M. Toutain (p. 350) fait son profit, sinon des réserves dont nous parlons ici, du moins de celles que l’un de nous a faites ailleurs dans l’Année sociologique (t. IV, p. 164). Nous les avons plusieurs fois répétées (Année sociologique, t. VIII, p. 234 ; t. IX, p. 248, Note sur la nomenclature des phénomènes religieux). Il semble cependant vouloir nous opposer à nous-même, ou plus exactement à notre maître, M. Durkheim.