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mination qui en résultait portaient sur le corps tout entier et non pas seulement sur certaines de ses parties. Dans l’‘olâ hébraïque et dans l’holocauste grec[1], la victime était tout entière brûlée sur l’autel ou dans le lieu sacré ; sans que rien en fût distrait. Le prêtre, après avoir lavé les entrailles et les membres de la bête, les plaçait sur le feu où ils se consumaient[2]. Le sacrifice était appelé quelquefois Kalil, c’est-à-dire complet[3].

Parmi les cas de destruction complète, il en est un certain nombre qui présentent une physionomie spéciale. L’immolation de la victime et la destruction de son corps s’opéraient d’un seul coup. On ne commençait pas par la tuer pour incinérer ensuite ses restes : tout se passait à la fois. Tels étaient les sacrifices par précipitation. Qu’on jetât l’animal dans un abîme, qu’on le précipitât de la tour d’une ville ou du haut d’un temple[4], on réalisait ipso facto la séparation brutale qui était le signe de la consécration[5]. Ces sortes de sacrifices adressaient leurs victimes aux divinités infernales ou aux mauvais génies. Chargées d’influences mauvaises, il s’agissait surtout de les éloigner, de les retrancher du réel. Sans doute, toute idée d’attribution n’était pas absente de l’opération. On se représentait vaguement que l’âme de la victime, avec toutes les puis-

  1. Plut., Qu. Symposiacæ, VI, 8, 1 (Smyrne). — Virg., Æn., VI, 252. Serv., ad loc. — Cf. Tautain, in Anthropologie, 1897, p. 670. — Les LXX ont traduit ‘olâ par holocauste.
  2. Lév. I, 9 ; IX, 20 ; I, 17. — Ézéch. XL, 38.
  3. Deut. XXXIII, 10 ; ‘olâ kalil, I Sam. VII, 9. — Ps. LI, 21, le kalil est distingué de l’‘olâ.
  4. Luc., de Dea Syria, 58. — Hérodien, V, 5 sqq. ; Lamprid. Helag., 8. — Movers, Phönizier, I, 363. — Plut., d. Is. et Os., 30. — Aux Thargélies : Ammonios, p. 142 (Valck.) ; cf. Mannhardt, Myth. Forsch., p. 136, n. 1. — Aux Thesmophories : Rhein. Mus., XXV, 549 (Schol. à Luc., Dial. mer., II, 1). — À Marseille : Serv., ad Æneid., III, 57. — Le bouc d’Azazel, au jour du grand Pardon, était de même précipité du haut d’un rocher : Talm. J., Mischnâ de Yoma, VI, 3, 7.
  5. Il y a quelque analogie entre ces précipitations et certaines des noyades de victimes pratiquées dans les fêtes agraires. Voir Stengel, op. cit., p. 120 sqq. — Mannhardt, W. F. K., II, p. 278, 287. Cf. Rohde, Psyche, I, 192.