Page:Hubert, Mauss - Mélanges d’histoire des religions, 1909.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’arrangeait de manière à n’en pas répandre une seule goutte[1]. Cependant, il arrivait aussi que ces précautions fussent regardées comme indifférentes. À Methydrion, en Arcadie, le rite commandait de déchirer la victime en morceaux[2]. On pouvait même avoir intérêt à prolonger son agonie[3]. La mort lente, comme la mort brusque, pouvaient diminuer la responsabilité du sacrificateur ; pour les raisons que nous avons dites, les rituels étaient ingénieux à lui trouver des circonstances atténuantes. Les rites étaient plus simples lorsque, au lieu d’un animal, on ne sacrifiait que de la farine ou des gâteaux. L’oblation était jetée tout entière ou en partie dans le feu.

Par cette destruction, l’acte essentiel du sacrifice était accompli. La victime était séparée définitivement du monde profane ; elle était consacrée, elle était sacrifiée, dans le sens étymologique du mot, et les diverses langues appelaient sanctification l’acte qui la mettait dans cet état. Elle changeait de nature, comme Démophon, comme Achille, comme le fils du roi de Byblos, quand Déméter, Thétis et Isis consumaient dans le feu leur humanité[4]. Sa mort était celle du phénix[5] : elle renaissait sacrée. — Mais le phénomène qui se passait à ce moment avait une autre face. Si, d’une part, l’esprit était dégagé, s’il était passé complètement « derrière le voile », dans le monde des dieux, d’un autre côté, le corps de la bête restait visible et tangible ; et lui aussi, par le fait de la consécration, était rempli d’une force sacrée qui l’excluait du monde profane

  1. Rob. Smith, R. Sem., p. 417. — Sacrifice scythe, Hérod., IV, 60. Chez certaines tribus de l’Altaï on brise l’épine dorsale de la victime. Kondakoff-Reinach, Antiquités de la Russie Méridionale, p. 181.
  2. Paus., VIII, 37, 5. — Rob. Smith, Rel. Sem., p. 368.
  3. Mannh., W. F. K., I, p. 28 sqq.
  4. Pl., De Iside et Osiride, 15, 17 ; Mannh., W. F. K., II, 52 ; Rohde, Psyche, p. 393 ; Dieterich, Nekyia, p. 497 sqq., etc.
  5. Wiedemann, Æg. Zeitsch., 1878, p. 89. Cf. Morgan-Wiedemann, Rech orig. Ég., p. 245. — Cf. Frazer, Gold. Bough, II, p. 90.