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BETSIAMIS

Nord. Maintes aventures signalèrent cette époque de son existence. En voici une à faire dresser les cheveux sur la tête !

C’était jour de grande revue ; le général Grant lui-même devait présider la fête. On sait si les soldats se font une grande affaire de ces cérémonies. Rien n’est épargné pour que tout soit irréprochable dans la toilette, dans l’accoutrement, dans la tenue ! Notre Grosjean, lui, jugea que, pour être vraiment joli garçon, il ne lui manquait que des moustaches. Il ne lui fut pas difficile, par un artifice à la portée de tout le monde, d’affubler sa lèvre de l’ornement voulu. Quelle figure martiale il vous avait, avec ces touffes de poils menaçants, qui se dirigeaient les uns à droite et les autres à gauche dans une symétrie parfaite ! Ah ! le beau soldat ! Vive la France, dont les fils portent la gloire dans tous les pays du monde — Attention ! voici le général qui passe ! mais voilà aussi que la moitié de la moustache s’écroule tristement en cet instant solennel, en face de l’état-major qui peut à peine garder son sérieux. Et le malheureux soldat, à qui la discipline a interdit même de lever un doigt pour prévenir le désastre !… Il y a des moments terribles dans la vie militaire.

Quelque temps après cet incident, le général Grant rencontra le héros de l’aventure, qu’il se rappela aussitôt, et lui fit cadeau de quelques greenbacks qui furent sans doute les bienvenus dans sa maigre escarcelle.

Il y a des soldats qui se font tuer, à la guerre ; il y en a qui, malgré leur bravoure, tombent au pouvoir de l’ennemi. Cet accident arriva à notre Français, qui fut pris avec bien d’autres par les gens du Sud. Sept mois durant, il subit une rude captivité, où l’on avait pour logements des trous creusés dans la terre. Ce fut alors que Grosjean, qui avait échappé à tous les périls des champs de bataille, vit le trépas de bien près. — Il advint, certain jour, que l’un de ces animaux qui, en poésie, se nourrissent de glands, et, ailleurs, de tant d’autres choses, se trouva à passer, en quête de je ne sais quoi, à la portée des mal-