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LABRADOR ET ANTICOSTI

autrefois des missions montagnaises, obtint un jour du gouvernement quatre ou cinq grandes médailles d’argent que l’on distribua aux chefs des diverses tribus. C’est l’insigne de leur autorité, et c’est bien près d’être tout ce qu’ils possèdent de souveraineté. Ce n’est pas que le peuple règle à lui seul les affaires importantes, comme cela se faisait dans certaines républiques anciennes. Avouons-le : il n’y a plus, dans ces nations, d’affaires à régler. L’objet même du gouvernement fait presque entièrement défaut. Voilà jusqu’où la décadence peut atteindre une race ! Il n’y a pas même de règles nettement définies pour la transmission de la dignité suprême, lorsque survient le décès de l’un de ces potentats : car ils ne sont pas moins sujets à la mort que leurs collègues, empereurs, tsars, ou monarques généralement quelconques. Leur pouvoir n’est pas héréditaire, et, pour les remplacer — autant que cela se peut — on fait, suivant des formalités qui dépendent beaucoup des circonstances, l’élection d’un nouveau chef, à qui l’on remet en guise d’intronisation la grande médaille, emblème de la souveraineté.

Il paraît — car il faut se garder d’ajouter trop de foi à l’histoire contemporaine, non plus qu’aux autres histoires — il paraît donc qu’à Betsiamis, il y a quelques années, les Montagnais ne furent pas tous, à un égal degré, charmés du choix que, sous la direction des missionnaires, on avait fait d’un nouveau chef. Et, comme il n’y a pas ici à tant tourner autour du pot, disons-le franchement : il y avait eu de l’« influence indue » dans cette élection. C’est là, comme on sait, un crime épouvantable, propre à détraquer irrémédiablement tout le mécanisme électoral ! Or, s’il n’y a pas de juges à Betsiamis, il y en a à Berlin, je voulais dire à Ottawa ; et une délégation de Montagnais, accompagnés d’un interprète, se rendit à Ottawa, pour contester l’élection, et obtenir le choix d’un autre chef. Je ne sais vraiment s’il régnait alors, au ministère des Sauvages, à Ottawa, un conservatisme outré, ou si, par une incompréhensible aberration d’esprit, l’« influence indue » n’y inspirait pas toute l’horreur qu’elle mérite. Toujours est-il que l’administration, dont ce cas