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LABRADOR ET ANTICOSTI

terrestre étaient encore meilleurs que la mélasse, substance qui est pour eux l’idéal de toute saveur exquise. — Peu de jours après, ce fut l’examen, qui se fit en présence du préfet apostolique et du magistrat de district, ce dernier remplissant aussi sur la côte les fonctions d’inspecteur d’écoles. Interrogé à son tour, un bambin de douze ans raconta, de l’extraordinaire façon que voici, le commencement de l’histoire sainte.

« Notre-Seigneur prit de la vase, et il fit Adam. Il le regarda, et dit : « Moi suis ben content, mais moi va faire quelque chose de mieux que ça ! » Et il dit à Adam : « Dors ! » Adam dormit, et Notre-Seigneur lui prit une côte et en fit Yiève (Ève). Alors, il les mit dans un beau jardin, et il leur dit : « Vous pouvez manger de toutes ces bonnes choses, mais il ne faut pas goûter à la pomme. » Mais un gros serpent arrivit, et il dit à Yiève : « Manges-en ! C’est bon, va ! c’est ben ben meilleur que de la mélasse ! » Et Yiève en mangit, et elle trouvit ça bon, et elle dit à Adam : « Si tu savais comme c’est bon ! Prends-en une petite bouchée, yienque (rien que) pour voir comme c’est bon. » Adam en mangit. Et Notre-Seigneur vint, et il dit : « Adam, ous-que-t’es ? » Adam ne réponit point. Et le bon Dieu demanda encore : « Adam, ous-que-t’es ? » Adam ne réponit point. Alors Notre-Seigneur cria : « Cré morue ! Adam ! ous-que-t’es ! » Et Adam il aviont peur, et il réponit : « Seigneur, je n’avions pas mon butin[1] ! »

L’histoire ajoute que l’originalité de ce récit du petit Labradorien compromit fortement, durant tout le reste de la séance d’examen, la majestueuse gravité qui règne d’ordinaire dans ces solennités scolaires.

Il faut ajouter que, malgré les conditions si défavorables où l’on est, au Labrador, relativement à l’instruction publique, le nombre des personnes qui peuvent lire, et même écrire, y est plus grand qu’on pourrait le soupçonner.

  1. Comme chacun le sait ici, le mot butin, dans notre langue canadienne, signifie : vêtements, marchandises, effets d’ameublement, etc. Il parait que cette expression un peu guerrière est un souvenir des exploits de nos valeureux ancêtres.